Chapitre 44

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À Anthipolis, dans le manoir où siège le conseil, plus communément appelé l'Opéra pour sa salle de spectacle grandiose et époustouflante, c'était l'effervescence. Des centaines de personnes allaient dans tout les sens, braillant à qui voulait l'entendre de se dépêcher. Des femmes en pantalon bouffant et queue de cheval ainsi que des hommes en tablier oeuvraient en cuisine et dans les étages pour aménager un espace confortable pour les nouveaux invités. Nouveaux invités qui d'ailleurs suivaient Haru.

Naeve avait entraîné Évide, Sown et les deux jeunes danseuses dans son sillage. Celles-ci  avaient blanchis sur le coup. La cause étant les dures représailles à venir sûrement.
Elle lui avait dit de les amener dans le Boudoir en attendant de régler quelques détails. Il ne chercha pas à en savoir plus.
Et à présent, le reste du groupe marchait sur les pas du jeune garçon aux traits impassibles. Celui ci leva les yeux à la vue d'une servante maladroite. La malheureuse venait de trébucher contre un bac contenant du linge sale. Le regard désapprobateur et froid du jeune messager la fit baisser les yeux, rougissante de honte et elle se fondit en excuse. Haru passa son chemin sans faire mine de s'en intéresser et jeta un coup au couloir dans lequel il débouchait. Fronçant le nez, il se promit de régler le problème de parfum d'ambiance et de passer le mot aux servantes.

Il bifurqua à gauche. Encore un couloir et les quatre personnes derrière lui seraient dans le Boudoir. Plus vite il s'y rendrait, plus vite il en finirait.
Honnêtement, il ne connaissait pas leur identité, outre celle d'Owl évidemment. Mais les autres, il s'en fichait un peu. Beaucoup. Énormément en réalité. Haru n'était pas altruiste. Ou alors, il l'était lorsqu'il servait ses propres intérêts. Et à présent, son intérêt était de les mener au lieu désigné par Maîtresse Naeve. Point.
Il acheva sa mission en ouvrant les battants en bois qui permettaient l'accès au Boudoir.

Par égard de l'étiquette, il les salua en baissant imperceptiblement la tête et les invita à entrer. Ce qu'ils firent en hésitant avec lenteur, selon Haru. Très lentement. Il s'en irrita.
Le temps lui était compté et il n'avait pas le loisir de rester ainsi à les attendre. Alors, il se retira assez rapidement, leur annonçant qu'il viendrait les chercher lorsque Maître Rimec en fera expressément la demande.
Le Boudoir serait synonyme de détente.

Le parquet sous ses pieds luisait. Cet étage était d'une propreté exigeante. Du chambranle des fenêtres aux plis des rideaux. Des vitres appartenant aux miroirs muraux à la poignée rutilante de chaque porte. Raïna était une réelle maniaque, prête à traquer la moindre particule de poussière. Haru sourit légèrement à ce souvenir. Cette servante faisait un travail d'orfèvre, ce n'était pas étonnant qu'elle soit réquisitionnée pour cet étage dédié aux invités.

Il en était tombé amoureux au premier regard. De cette femme au sourire capricieux entourée d'un visage ornée de grands yeux. Elle avait débarquée tout droit des grands froids, sa peau caramel pouvait prêter fortement à confusion. Nordique dans le sang, elle n'était pas frileuse pour un sous et pouvait se permettre de sortir durant l'hiver en simple uniforme. Elle lui avait affirmé un jour que les tempêtes de neige qui tombaient à Anthipolis étaient bien lamentables comparées à celles de son pays.

Subtilement, elle était venue à percer la bulle du garçon qu'il s'efforçait à garder fermée.
Et cela avait suffit à alimenter l'amour secret du jeune messager qui la dévorait du regard à chacune de leur discussion.
Pour son plus grand malheur car les sentiments n'étaient qu'unilatéraux, il l'apprit à ses dépends. Malgré le ton extrêmement doux et la teneur courtoise du refus, il avait mal encaissé. De plus, du haut de ses 19 ans, la jeune femme lui avait déclarée que la différence d'âge se faisait bien sentir.

Depuis, le bandage de son coeur mal fagoté lui avait servi de leçon. Son amour propre en avait prit un bon coup également. Quoi de plus difficile à surmonter pour un adolescent de douze ans? Haru était resté ami avec Raïna malgré une rancoeur sourde mais à présent, son côté égoïste avait repris du service.

"Exécrable" qu'on disait pour le décrire. Il assumait totalement. D'ailleurs, on le lui rendait bien soit en le craignant soit en restant cordial, sans plus. Il était seul juge de les trouver digne ou non de son intérêt. Il avait autrefois une fascination pour la personne qu'était Lycans, le directeur du Parc des Merveilles. Celui qui l'avait recueilli, nourri, blanchi. Un intérêt mêlé d'admiration sans doute. Du moins, c'est ainsi qu'il le ressentait.

Haru avait été haut placé dès le départ au Conseil. Owl s'étant désisté de sa tâche, il avait repris le flambeau. Mais il ne se faisait pas d'illusion, ce n'était pas pour ses beaux yeux. Sûrement, Gengis l'avait chaudement recommandé à Maître Rimec mais ce n'était pas pour lui déplaire. La cuisine, les balais et les torchons, il ne connaissait pas et honnêtement, il s'en accommodait bien.

-Haru! On te demande sur le pont!

Le jeune garçon sortit de ses réminiscences. Il avait descendu les escaliers, perdu dans ses pensées et n'avait pas réalisé s'être rendu à la blanchisserie ou des draps immaculées pendaient sur des cordelettes. Il hocha la tête en direction du valet en tablier qui lui avait indiqué qu'on le cherchait et épousseta son uniforme. Il accéléra le rythme et sortit du Manoir. Il passa devant L'hôtel de l'Etoile, ce gigantesque bâtiment qu'une des jeunes femme du groupe avait confondu avec l'Opéra. Une novice ou bien une idiote. Il penchait cependant pour la première option en se rappelant vaguement qu'Évide était venu présenter un nouveau membre du Cirque.

Il soupira et relégua ses pensées très loin, ça ne l'intéressait pas du tout. Ce qui avait par contre captivé son attention était la femme qui avançait sur le pont. Des cheveux châtains lui balayait le visage et son maquillage outrancier jurait avec sa chaude mise. Un long manteau et un bonnet de laine la parait tout comme deux moufles épaisses. Avançant à pas de velours, elle avait étrangement une démarche peu féminine. Elle s'arrêta à la vue d'Haru qui allait à sa rencontre, son masque impassible plaqué sur son visage.

-Bonjour Haru, sursura-t-elle. Comment vas-tu mon roudoudou?
-Bonjour Juyli. Que me vaut ta présence?
-As-tu des pertes de mémoires? Voyons voir...la semaine prochaine, il me semble que c'est le Solstice d'Hiver.

La raillerie de la dénommée Juyli fit soupirer le jeune adolescent. Mais cela ne la coupa pas dans sa lancée.

-Je passe en éclaireuse pour t'annoncer la présence de la troupe et de notre metteuse en scène dès demain. Le Théâtre de La Nuit débarque mon coco!

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant