Chapitre 18

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Océlia avait la fâcheuse manie de duper son monde. Ce n'était pas un défaut selon elle mais ce n'était pas non plus une qualité, elle en convenait. Il fallait dire que lorsque le sujet devenait intime et épineux, elle se refusait d'en dévoiler davantage. Il valait mieux passer pour celle qui se languissait d'un amour non réciproque aux yeux de tous. Posant le peigne sur sa table de chevet, elle dévisagea son reflet. Ses cheveux enfin domptés, elle soupira de lassitude. La représentation de la veille avait été troublée par la nouvelle venue, et elle n'avait pu présenter son numéro comme à son habitude. Cela l'avait mis en rogne, elle qui adorait performer devant un public. Il n'y avait rien qui la galvanisait davantage que les applaudissements  d'un public charmé par sa prestation. Des coups discrets à sa porte la sortirent de ses pensées et la silhouette de Korell se découpa dans l'encadrement.

-Oui?

D'une voix douce, son amie lui proposa:

-Icare compose à nouveau, tu souhaites venir écouter?

En fond sonore, des notes de violon virevoltaient jusqu'à elle. Mais Océlia secoua la tête.

-Non, merci, refusa-t-elle. C'est gentil de ta part Korell.

Elle ne souhaitait pas voir Icare pour le moment. Son beau regard la rendrait nostalgique, elle en était certaine.

-Je n'ai rien à y faire non plus, dans ce cas.
-Ne te prive pas pour moi!
-Je ne me prive pas, lui sourit la rousse. Je vais plutôt jeter un coup d'oeil au travail de Zalie. Elle confectionne un costume pour la nouvelle.

Ah oui, la nouvelle... Son prénom lui échappait.

-... Daphne me semble-t-il, continua Korell. Owl me l'a rappelé pas plus tard que tout à l'heure.

En toute honnêteté, Océlia s'en fichait éperdument. Ses yeux vagabondèrent des rideaux de soie à la nuit noire qui laissait la lune se bercer timidement. À l'extérieur, les champs de roses semblaient immenses et les fleurs luisaient, éclatantes. Elles étaient semblables à des pièces précieuses, embaumant agréablement l'air nocturne. L'obscurité du ciel s'étendait jusqu'à l'horizon, chargé de magie. Les lucioles paradaient sur les pétales des fleurs, une multitude de points lumineux batifolant au gré du jardin.

-C'est une belle nuit, n'est-ce pas? Murmura Korell.
-Oui, elles se font rares.
-Ça me rappelle ta venue dans la troupe.

En son for intérieur, Océlia y songeait souvent. Elle songeait à sa vie d'antan. Il avait fallu qu'un soir d'automne, le Cirque passe par la bourgade perdue où elle dépérissait pour qu'elle se reprenne en main. Difficile de vivre heureuse lorsqu'on n'est privé du bonheur le plus élémentaire. Des parents immatures, des responsabilités à en perdre la tête, et un toit inexistant eurent raison d'elle. L'opportunité de fuir s'était présentée et elle l'avait saisie ; finalement quoi de mieux que de faire partie d'un cirque? Elle n'avait rien à perdre, outre le souvenir de plus en plus lointain de son amour premier. Perdu à tout jamais, semblait-il... Les lucioles dans les bosquets formaient de jolis lumières dorées. Dorées comme les cheveux d'Icare. Comme ceux de son premier amour qui lui avait permis de tenir bon lorsqu'elle n'était qu'une adolescente. Océlia n'y songeait plus mais à présent, l'image de Milo venait la hanter de plus en plus souvent.

-Tu as ta mine des mauvais jours, s'inquiéta Korell.

Océlia ne répondit pas et sourit tristement. Il y avait des jours avec et des nuits sans, des hauts et des bas. Korell était sa plus proche amie au sein du cirque, ainsi il eut été naturel de tout lui confier. Mais, elle ne put le faire car Milo faisait parti de son passé enfoui. Pourtant, il lui arrivait parfois d'imaginer qu'il était toujours à ses côtés, ses cheveux blonds aux vents et sa solide présence pour rassurer ses inquiétudes.

-Tu penses à Icare ? Lui chuchota son amie.
-Je ne devrais pas, mentit Océlia.

Korell plissa ses yeux bleus et croisa les bras. Sur son visage expressif, on pouvait y voir de la contrariété. Cette jeune fille pouvait se vanter d'avoir été gâtée par Mère nature. Pas étonnant qu'Angelo l'ait suivi par amour. Elle aurait aimé, elle aussi, pouvoir suivre quelqu'un par amour.

-Ce n'est pas une solution de refouler tes sentiments. Ton amour pour Icare en sera d'autant plus fort!

Océlia se leva et ricana. Le son du violon faisait des merveilles, elle s'imaginait se mouvoir sur cette nouvelle composition.

-Mon amour? Ce n'est pas de l'amour, dit-elle.

En effet, la jeune femme n'était pas amoureuse d'Icare. Cela aurait été bien plus simple pourtant. Non Icare n'était que la pâle copie de Milo, une foutue obsession. Lorsqu'elle l'avait vu pour la première fois, elle fut surprise de la ressemblance. Elle aurait voulu à nouveau aimer. Puis au fil du temps, elle s'était rendue compte qu'elle faisait fausse route. Mais comme pour garder cette lointaine image de ce jeune garçon, elle mimait au yeux de tous l'amoureuse transie. Il fallait pourtant bien ménager les apparences et continuer son petit jeu d'amante au caractère atrabilaire. Porter un masque et emporter ce petit secret dans la tombe était pour elle une composition facile. Il était hors de question de partager le peu de bonheur qu'elle avait reçu. C'était son rayon de soleil, c'était son Milo. Voyant l'acrobate perdue dans ses pensées, Korell soupira:

-Je vais faire un tour chez Zalie. Si tu me cherches, tu sais où me trouver.

Et elle s'éclipsa sans bruit. Océlia ne prit pas la peine de répondre, elle savait déjà où il lui fallait aller. Voir Icare et s'acharner à ce qu'il la regarde. Rien de bien nouveau en somme, un rôle fait sur mesure pour elle. La mélodie du violon la guida, provenant de la salle de danse. Angelo avait pour habitude de s'y entraîner, ainsi elle ne s'étonna pas de le trouver là. Ce qui la surprit davantage était la nouvelle, Daphne, qui écoutait cérémonieusement Icare jouer. Ainsi, elle était là. Aussitôt, Océlia scella son coeur et entra dans l'arène, prête à piquer une nouvelle crise de jalousie.

Encore une.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant