Chapitre 26

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Quelque part, il est dit que les grandes âmes possédaient de la volonté tandis que les âmes plus faibles n'avaient que des souhaits à émettre. Il s'agissait ainsi de ne pas se contenter de vouloir mais de pouvoir. Alors qu'elle était à présent à l'orée d'un choix désisif, Daphne se fixa ce mantra comme pour s'insuffler du courage. Non pas qu'elle en manquait mais elle craignait de rebrousser chemin à la vue de la porte d'Icare. Il n'était pourtant pas effrayant comme personnage mais elle ignorait toutefois sa réaction à la requête qu'elle allait lui soumettre. C'est alors avec une grande appréhension et une extrême parcimonie qu'elle toqua. Des bruits sourds provinrent de la chambre avant que le loquet de la porte ne se déverrouille. Dans l'embrasure, des cheveux blonds filasses apparurent suivis de deux prunelles maussades.

-Que me vaut cette visite Daphne?

La voix éteinte d'Icare interpella cette dernière qui s'aperçut de la noirceur de la chambre. Le musicien ressassait-il de sombres pensées? Tout semblait le prouver, de sa mine abattue à l'éclat terne de ses cheveux. Et puis la chambre quelque peu sinistre n'inspirait pas confiance.

-Eh bien, j'avais une requête à te faire part.
-Je t'écoute.

Icare ouvrit davantage la porte et sembla se redresser, une pincée d'interêt dans le regard. Sa mince silhouette lui conférait l'image d'un homme fragile, ses propre bras enserrant sa fine taille. Son long pantalon créait cette illusion de jambes interminables et sa chemise colorée apportait à ce pâle spectacle les touches fantaisistes qui lui manquait.

-J'aimerai que ce soit toi qui m'aide pour mon premier numéro. J'ignore encore tout et je pense que tu serais un excellent professeur.
-Je ne suis pas certain... je ne suis pas qualifié, je le crains!
-Je suis sûre que tu m'aiderais parfaitement.
-Non. Non et puis le temps est trop restreint!

Ses mains passaient et repassaient inlassablement dans ses cheveux jusqu'à les décoiffer. Le résultat ressemblait en tout point à un nid de corneille.

-Je crois en toi, affirma la jeune femme en haussant les épaules.
-Tu pourrai surement croire le bon Dieu sans confession Daphne. Allons, trouve quelqu'un d'autre.
-Surement, oui. Toutefois il n'est pas question de spiritualité mais de confiance. Et d'admiration.
-Tu ne comprends pas ou bien ne souhaites-tu pas le comprendre mais je refuse.

La jeune femme resta muette face à cette virulente réponse.

-Pourquoi? Murmura-t-elle, dépitée.
-Parce que c'est en moi que je ne crois pas.

La tension d'Icare sembla s'aggraver car ses lèvres qui se mirent à trembler à l'instar de ses mains qui tenaient le chambranle de la porte. Il recula d'un pas.

-Choisis quelqu'un d'autre.

La jeune femme se surprit à demeurer immobile, trop stupéfaite pour esquisser quelconque geste. Elle recherchait dans sa mémoire ce qui aurait pu déclencher une telle réaction. Mue par un soudain instinct, elle agrippa les épaules du jeune homme qui chercha à se replier telle une bête agressée par trop de lumière.

-Icare, s'il te plait!
-Laisse moi, je veux être seul. Laisse moi!
-Non! Je te veux comme mentor au sein du Cirque!

L'agitation du musicien se calma alors progressivement tandis que sa respiration reprit un rythme plus doux. Il la dévisagea attentivement de ses yeux si clairs qu'ils semblaient refléter la surface lisse d'une onde agitée.

-Tu es butée Daphne. Malheureusement, je ne peux dire que ce soit une qualité.
-Je prends le risque.

Il la dévisagea encore longtemps avant de se résigner et de lui indiquer le chemin de la main. La jeune femme soupira enfin et sourit de joie, elle l'avait convaincue ce qui n'avait pas été chose aisée. Son choix s'était porté en premier lieu sur Icare pour la simple raison qu'il était extrêmement doué. De plus, la sensibilité de ce dernier trouvait un écho particulier dans sa vision artistique. Et il était peu dire que l'art était ce qui la faisait vibrer. Tout en songeant à ce qu'elle pourrait créer en compagnie du musicien, elle l'avait suivit d'un pas leste. À présent, il s'était arrêté près d'une porte bariolée qu'elle n'avait jamais eu l'occasion de remarquer. Pourtant il ne s'agissait pas de la plus discrète. Alors il posa la paume sur la poignée et libéra le passage d'un simple mouvement.

-Mon atelier, annonça-il simplement.

Ainsi, la porte bigarrée donnait sur l'antre créatrice d'Icare. Ces teintes éclatantes étaient-elles réellement ce qui façonnait son imaginaire innovant ou bien était-ce seulement l'image qu'il voulait renvoyer aux autres? La pièce sur laquelle Daphne déboucha lui donna un début de réponse, le mobilier était classique et propret. Mais sans âme. Il lui semblait revenir quelques années auparavant, au sein de sa chambre dans la maison parentale. Affreusement impersonnel. Une fenêtre aux légers rideaux apportait toutefois une luminosité bienvenue. Le jour s'était levé et au loin, elle pouvait percevoir des montagnes brumeuse englouties.

-Souhaites-tu toujours de moi comme mentor?

Appuyé contre un piano lustré, Icare la scrutait. Dans son regard, la crainte qu'elle ne disparaissent dans un nuage de fumée était palpable. Daphne se surprit à découvrir un pan de la personnalité du jeune homme. Celle d'un artiste sensible aux humeurs moroses et en proie à de sombres doutes. Cutieusement, il ne s'agissait pas de la vision qu'elle se faisait de lui lorsqu'il performait sur scène. Le fantasme et la réalité s'avérait parfois diamétralement opposée.

-Bien sûr, je ne reviens pas sur mon choix.

Ces mots apaisèrent Icare puis comme rasséréné, il se dirigea vers la fenêtre pour l'entrouvrir, l'invitant à le rejoindre. Observant tout deux le paysage du soleil levant, ils savourèrent la brise aussi tiède qu'une caresse. Daphne profita de cet instant de sérénité retrouvée pour s'exprimer:

-Icare, pourrais-je savoir ce qui te rend si triste? Pardonne mon impolitesse si cette question est inappropriée mais je ne peux m'empêcher de me souvenir de ta si brillante aura lors de mon premier soir au Cirque...
-Mon aura brillante, rit-t-il tristement. Si seulement elle l'était réellement.
-Que veux-tu dire?

Le jeune homme soupira avant que son regard ne se perde parmi les montagnes lointaines. Il paraissait dans d'autre sphère. Il répondit tout de même, dans un murmure:

-Rien Daphne. Sache que les joies et les tristesses dorment dans le même lit et que si les unes sont de passage, les autres également. Ça me passera.
-Si je peux me permettre, la vie est courte. Ne la raccourcis pas avec de tels fardeaux.

Reconnaissant de ce sage conseil, il se détourna du paysage pour lui adresser un sourire sincère. Mais à la lueur de la triste vérité, la fragilité d'Icare ne s'était jamais autant dévoilée qu'à cet instant-là.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant