Épilogue

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Dans l'aile Ouest du manoir, au sein de la pénombre de sa chambre, Sana Gengis se mirait dans le reflet d'un miroir orné de curiosités. De la dentelle de ça, des fragments de verre de là, des boutons collés entre eux. L'oeuvre semblait avoir été conçue par un enfant à l'imagination fantaisiste. Du bout des doigts, la femme effleura le cadre, soutenant le regard scrutateur de son double. Brillantes plus que de mesure, ses prunelles semblaient dévoilées le calme avant la tempête. Son masque de dirigeante du théâtre de la Nuit était posé sur la commode devant laquelle elle s'était assise; les rubans défaits en croix tels des bras s'abandonnant à une félicité bienvenue.

Comme pour briser cet instant, un bruissement de plume en direction de la fenêtre attira l'attention de Sana. Alors sans se presser, elle apposa le masque d'apparat sur son visage et l'attacha d'un tournemain gracile. Sur la rambarde de la fenêtre, Casper était juché tel un Sphinx au plumage sombre.

-J'espère que tu m'apportes de bonnes nouvelles, sourit-elle en se tournant vers lui.
-Laisse-moi souffler deux minutes, je viens de me taper un aller retour à tire d'aile!

Le rire de Sana tinta à l'instar d'un carillon et elle se leva pour l'accueillir dans le creux de sa paume. Sa longue robe de nuit en satin blanc trainait au sol et dans le clair obscur de la chambre, Casper aurait pu songer à une fée emprisonnée  dans la Tour de ce lugubre Manoir.

-Tu me parais bien remise de tes émotions, railla-t-il lorsqu'il s'installa  confortablement sur le poignet de la femme.

Un sourire particulier fendit les lèvres de cette dernière et elle acquiesça avec légèreté. Son numéro de lionne enragée auprès de Rimec et d'Evide avait fait trembler les murs. Jouer la comédie était une seconde nature chez elle. Elle aimait laisser  croire à tous qu'elle était naïve...

-Comment as-tu pu duper ton amie Malacia Falengai ?
-Qu'importe Casper, interrompit Sana en se rasseyant devant le miroir, scrutant à nouveau son reflet masqué. Alors, est-il arrivé sain et sauf?

Casper hocha solennellement le crâne. En effet, le fugitif n'en était plus un désormais puisqu'il  était  bien en sécurité au sein de La Troupe de la Nuit.

S'ébrouant subitement les ailes, le corbeau se demandait encore ce qu'il lui avait pris de prendre part à cette fuite. Il se revit le guider clandestinement à travers les  forêts sombres et les chemins de traverses afin de lui épargner le triste sort qui lui était destiné par les membres des extensions. Le volatile connaissait bien Rimec et savait combien il serait zélé d'appliquer la sentence du Conseil si le jeune Icare était capturé.

-Dis moi pourquoi on a fait ça déjà Sana ? Grimaça-t-il en scrutant la lune, témoin céleste de leur petite conspiration.

Elle prit le temps de retirer son masque avant d'approcher Casper de son visage et murmura.

-Pourquoi? Tu as des remords?

Casper garda le silence. Sana reprit:

-Korell n'aurait pas plaidé la cause de ce garçon en vain. Ma fille est parfois têtue mais elle a toujours eu un sens aigu de ce qui est juste. Et si elle  me le demandait à nouveau, je rejouerais cette scène de la mère éplorée !
-Décidément ta fille tient de toi,  ils la croient tous à l'article de la mort.
-Ne te torture pas ainsi, fais-moi confiance. La seule condition est de ne pas en toucher un mot à Owl.
-C'est un supplice en soi! Gémit Casper. Tu n'imagines pas la difficulté que ça me demande ou quoi?
-Tu réussiras, assura-t-elle, il le faut !

Être en froid avec son ami était déjà difficile alors ne pas partager ce secret semblait être au -dessus de ses forces.

-Mais pourquoi le lui cacher? Se lamenta-t-il à nouveau. Qu'est-ce -que tu crains?

Sana resta pensive quelques secondes, elle inclina la tête et Casper resta pendu à ses lèvres.

-Pourquoi alors?
-L'amour est trompeur et nous pousse parfois à se confier à l'être aimé. Chose dangereuse en ce qui concerne notre petit secret, n'est ce pas?
-Owl n'est pas amoureux, rouspéta l'oiseau agacé.

La femme haussa un curieux sourcil et pencha à nouveau la tête d'amusement.

-Décidément, la psyché humaine n'est pas ton point fort ou alors tu es de mauvaise foi. Je pencherai davantage pour la seconde option mais ce n'est qu'une intuition après tout.
-Peu importe! Même si cela s'avérait vrai, Owl n'en parlerai pas à Daphne!
-Détrompe-toi.

La dirigeante du Théâtre de la Nuit sourit devant son air buté. Casper grommela de sombres paroles mais en son for intérieur, il devait se rendre à l'évidence.

Sana fit mine de ne pas relever son dilemme et elle se leva, le corbeau toujours juché sur son poignet. Elle se dirigea vers la fenêtre restée entrouverte et s'accouda sur la gracieuse rambarde. C'était une nuit claire mais humide, la vue donnait sur l'entrée du Manoir. Sur le perron en pierre, deux silhouettes s'enlaçaient tendrement, l'une à la chevelure d'encre et l'autre de feu. Au bout d'un long silence, Sana reprit: 

-Je n'ai pas encore confiance en elle. Je ne sais pas qui elle est vraiment.

Casper suivit le regard de Sana, braqué sur son fils et Daphne.

-Que vas-tu faire à présent? Demanda-t-il la voix rocailleuse.
-Je ne sais pas. Pourquoi ne pas prolonger cette mascarade encore un moment , histoire de brouiller les pistes?

-Ton extension ne va pas en pâtir?
-Je suppose. Elle va subir quelques bouleversements... Mais peu importe, ce sera intéressant.

Casper avait un pressentiment funeste. À présent qu'Icare était introuvable, caché au sein du Théâtre de la Nuit, les recherches deviendraient frénétiquement folles et la vengeance palpable. Qui oserait songer au double-jeu de la belle Sana Gengis, mère au coeur brisée ? Personne.

Le corbeau soupira d'anxiété, le jour où la réalité éclatera, qu'adviendra-t-il même de lui?

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant