Le Cirque Mystique

Chapitre 50

Icare avait disparu.

Cette unique pensée tournoyait inlassablement dans la tête d'Angelo. Assis dans le fauteuil du bureau d'Évide, il scrutait le feu brûlant dans l'âtre. Ce feu faisait écho au brasier de sa colère intérieure. Ils avaient décidé d'annuler la dernière représentation, l'ambiance n'était pas à la fête. Tout ceci à cause d'un certain musicien... Le mannequin de cire ne comprenait pas quelle mouche l'avait piqué pour blesser ainsi Korell et s'enfuir lâchement. La situation semblait irréelle, Icare étant l'essence même de la bonté et l'incarnation de la bienveillance.

Tous les membres du Cirque  s'étaient regroupés à ses côtés, fixant le feu rougeâtre tel un point d'ancrage pour ne pas sombrer. La mine hagarde d'Océlia, la grande tristesse de Zalie et les larmes d'Aaricia le décidèrent à se lever pour  échapper un tant soit peu à cette atmosphère si morose. Il traversa le couloir au pas de course et ouvrit la porte menant au studio de danse. La journée touchait à sa fin, qui emportaient habituellement avec elle les désillusions et les peines. Pas cette fois-ci.
À travers la baie vitrée, les teintes du crépuscule avait des relents chagrins et le soleil rappelait douloureusement les cheveux blonds de l'illusionniste. Dans sa furieuse colère, le désarroi lui broyait le coeur. En observant l'astre décliner, Angelo libéra son amertume en de lourds sanglots. Il se laissa choir et pleura pour la première fois depuis longtemps.

-Icare... pourquoi? Murmura-t-il, la voix brisée.

Un serpent s'enroula alors autour de sa cheville et le fit sursauter. Lee resta ainsi, immobile. Sans doute cherchait-elle un peu de chaleur humaine en ces temps bien désolants? Du bout des doigts, Angelo lui caressa l'échine tout en ravalant discrètement ses pleurs. Mais deux perles d'eau salés vinrent s'égoutter sur le sol du studio; Lee pleurait en silence. Alors ils restèrent ainsi, se consolant mutuellement par leur simple présence. Malgré cela, la nuit prenait le pas sur le jour et les heures défilaient.

-Angelo...

Cette fois-ci, il s'essuya maladroitement les traces des larmes avant de se tourner vers Yon. L'un des jumeaux vint s'asseoir près de lui, blême et défait. Sa tignasse farfelue n'était pas peignée et des cernes lui mangeaient son visage enfantin.

-Tout va bien se passer n'est-ce-pas? Chuchota-t-il, la mine sombre.

Le silence engloutit la question.

-N'est-ce-pas?! Demanda-t-il plus fort, sentant la panique poindre.

Angelo ne sut quoi répondre.

-S'il-te-plait Angelo... Réponds moi! Hoqueta le jeune garçon. Mens-moi, mens-moi autant que tu le souhaites, je t'en prie! Dis moi...

Ses poings s'amarrèrent au veston du mannequin de cire et triturèrent violemment le tissus. Le secouant dans tous les sens afin de le faire réagir et priant le ciel avec désespoir, Yon fondit également en larmes.

-Dis moi... que... tout sera com.. comme avant. Racon..te moi d..des mensonges Angelo. J'y croirais !

Cessant alors tous mouvements, il se pelotonna près du danseur qui se détourna sciemment de lui, craignant que l'adolescent assiste à la fissure de son masque d'adulte. Yon murmurait inlassablement:

-Je te le promets, j'y croirais... Je te le jure !

Lee s'était à présent posée sur l'épaule du garçon pour lui alléger une infime partie de sa douleur. Ce n'était qu' un enfant après tout. Angelo sentit la colère poindre de nouveau. Pourquoi infliger cela à des enfants tels que les jumeaux ou Aaricia... Icare n'était qu'une ordure sans coeur !
Sa place au sein du Cirque n'était plus à prouver. Pour quelles raisons était-il parti?! Et qu'avait bien pu faire Korell pour subir les coups de ce... De cet ancien camarade et ami...
Yon s'était à présent assoupi, bercé par la mélodie apaisante que le mannequin sifflotait tendrement. La mélodie qu'un violon et piano à queue leur avaient interprétés sous la direction d'un musicien talentueux, il y avait de cela  quelques semaines déjà. Stupide Icare !

-Lee, peux-tu quérir Zalie? Yon mérite de se reposer, la journée fut mouvementée pour lui.

En un éclair, le serpent s'éclipsa. Angelo caressa chèrement les boucles de l'adolescent endormi tout en se demandant si Casper avait transmis le message sans encombre. À Anthipolis, ce devait être la folie. Il visualisait assez facilement Owl à bout de nerf, Évide soucieux et Daphne nageant en pleine  incompréhension. En toute honnêteté, tous les membres étaient perdus. L'équilibre du Cirque était rompu.
Il ne restait plus que l'attente... Attendre le réveil de Korell, elle leur dévoilerait sans doute les pièces  manquantes du puzzle. Si elle se réveillait un jour... Son coeur se compressa aussitôt. Non! Elle se réveillera ! Elle ne pouvait pas les laisser ainsi, le laisser ainsi! Dans le cas échéant, il ne pourrait se relever. Pas sans elle...

-Il dort?

Zalie s'était approchée et accroupie sans bruit. Elle soupira tristement en apercevant le désarroi d'Angelo et posa une main sur son épaule. La légère pression ne lui remonta aucunement le moral mais elle eut le bénéfice d'apaiser quelque peu son âme tourmentée, ce qui l'invita à se confier:

-Je suis perdu Zalie. Je.. ne sais pas quoi faire!
-Il n'y a rien à faire pour l'instant, la décision finale revient à Évide. Et nous n'avons toujours pas de nouvelle.
-Mais quand? Quand?! S'irrita le mannequin.
-Moins fort Angelo, Yon a le sommeil léger.
-Je doute qu'il s'éveille, sa crise de panique l'a épuisé.
-Pauvre enfant... Mais qu'est-il passé par la tête d'Icare? Les torturer par son absence, eux qui l'admiraient tant.
-Je crois qu'ils ne sont pas les seuls. Chacun admirait ou appréciait Icare. Il avait cette aisance naturelle et élégante de séduire sans effort, d'être aimable, lumineux et vrai. Du moins, c'est ce que nous imaginions tous..
-Il doit y avoir une raison qui expliquerait son acte ! Gémit la poupée.

Angelo baissa le regard sur Yon, la lune montante éclairait son profil. Las, il soupira et le confia délicatement à son amie.

-Je n'espère plus, Zalie. Tu devrais en faire autant, c'est mieux ainsi.