Chapitre 22

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Bien loin des doutes de Zalie, Daphne recherchait en effet une issue dans ce dédale de pièces. La dernière remarque d'Angelo prenait alors tout son sens, son orientation s'en trouvait troublée. Pourtant il ne s'agissait que d'un long couloir mais il semblait se prolonger à force de marcher. Le bruit de ses pas se répercutait sur le sol, dans un silence feutré. Elle se sentit soudain observée et ce malaise persista jusqu'à ce qu'elle arrive au bout du couloir. Daphne réalisa qu'il n'y avait pas de sortie et une sueur froide coula le long de son échine. Pour ne rien arranger, le tableau au mur la surplombait de sa hauteur. Les sept hommes représentés semblaient la toiser du regard. Qui étaient-ils? Un nouveau voile s'abattit sur le cirque. Du bout des doigts, elle effleura le cadre de bois sombre et lisse. Il était d'une simplicité étonnante si on le comparait avec les ornements muraux et les objets baroques du lieu.

-Dis, tu pars?

Avant même de se retourner, Daphne devina l'auteur de cette petite voix amusée; l'un des jumeaux. Dans l'expectative d'une réponse, il l'observait curieusement et piochait dans un sachet de confiserie.

-Oui, je cherche une sortie.

Mâchouillant allègrement en haussant les sourcils, il lui proposa une sucrerie qu'elle refusa poliment.

-Yon aussi n'est pas gourmand, c'est là son défaut. Mais ça en fait plus pour moi, tant pis pour vous!

Par pure logique, Daphne déduisit que le jumeau qui se tenait devant elle portait le nom de Noy. Difficile de les reconnaître...

-Pourquoi tu pars? Demanda-t-il brusquement.
-Parce que.
-Angelo m'a dit que c'est pas une réponse!
-Angelo raconte des bêtises.

Un sourire canaille se dessina sur le visage du garçon tandis qu'il plissait les yeux.

-C'est pas lui qui fait des bêtises, là.

Et il goba un bonbon aromatisé. Daphne ne put s'empêcher de se sentir visée mais elle rétorqua, amusée.

-Alors il s'agit de toi?
-Peut-être, éluda-t-il.

Puis il revint à la charge, avec la candeur d'un enfant buté.

-Tu m'as pas répondu, pourquoi tu pars?
-Je veux rentrer chez moi.
-Ta maman te manque?
-Pas vraiment.
-Ton papa?
-Non plus. Je ne vis pas avec eux.
-Tu n'as plus de famille?

Daphne soupira. Ses parents étaient toujours bien en vie mais pour rien au monde, elle ne reviendrait vivre dans la maison familiale. Du plus loin qu'elle se souvienne, elle avait toujours ressenti un fossé entre elle et son père. Sa mère avait fait acte de présence tout en brillant par son absence, ainsi inutile de blâmer son manque d'amour envers eux. Ce n'était pas qu'elle ne les aimait pas, elle n'en avait plutôt jamais eut l'occasion. Tout ce qu'elle ressentait, c'était de la reconnaissance pour lui avoir donné un toit et un repas quotidien, c'était bien assez.

-Moi je n'en ai plus.

Noy avait brusquement baissé la tête, subitement intéressé par le sol.

-J'ai plus de parents, j'ai que Yon. Ma famille, c'est le Cirque.
-J'en suis désolée...

L'occasion était tentante pour grappiller quelques informations mais Daphne se retint de poser des questions pour assouvir sa curiosité. Et puis, le jeune garçon releva aussitôt la tête.

-Alors, qui vas-tu rejoindre?
-Une amie qui m'est chère.
-Ton amie, c'est ta famille?
-Oui, en quelque sorte.
-Je peux t'aider à la retrouver alors. Viens, je te montre la sortie.

Noy lui saisit alors la main et l'entraina dans son sillage, il avait une sacrée poigne pour un adolescent de son âge. Daphne lui emboita le pas, surprise de cette aide bienvenue. Elle ne soupçonnait pas Noy capable d'une telle initiative. Il fallait dire qu'elle ignorait bien des choses sur ces jumeaux à commencer par leur histoire originelle mais eux ignoraient également la sienne. Et ce qu'il ignorait n'était pas plus mal. Pourtant, elle aurait souhaité en savoir davantage sur ces deux petits acrobates intrigants. Sur les personnalités au complet de cette troupe, en réalité. Elle n'avait pas eu assez de temps... Entrainée par Noy, les portes se succédaient devant ses yeux et le couloir paraissait interminable. Elle en avait perdu le décompte comme elle en avait oublié le temps au sein du cirque. Les heures semblaient filées et pourtant les minutes semblaient s'être figées. De plus, le lieu où elle avait atterri devait se trouver à des années lumière de sa ville natale. Le cadre spatial et temporel s'était définitivement brouillé.

-La sortie est là.

Daphne considéra curieusement la porte devant laquelle ils s'étaient arrêtés. Elle ressemblait en tous points à celle du studio de danse d'Angelo.

-Tu verras une baie vitrée. Après, ça sera l'extérieur.
-Je vois.

Puis elle posa une main tendre sur son épaule, se pencha et lui murmura à l'oreille:

-Merci Noy. Vraiment.

La bouche de ce dernier resta close tandis qu'il la dévisageait d'un drôle d'air. On ne l'avait décidément pas habitué à une telle proximité avec une presqu'inconnue. Seule sa famille en avait le privilège et il n'appréciait pas les marques de tendresse, qui plus est avec les étrangers. Quoique Daphne n'était pas dérangeante, juste intriguante. Il assurait à qui voulait l'entendre qu'elle était tombée sur la tête à vouloir retourner auprès des siens mais Yon nuançait ses propos, il était d'avis que ses parents lui manquaient. Sans doute. Noy n'en savait rien, cette fille paraissait semblable à bien d'autres, au fond. Un brin banale malgré le fait de vouloir s'en aller. Partir d'ici... Quel acte inconcevable pour lui.

-Vous allez me manquer au final, lui dit-elle, le libérant du flot de ses pensées.

Daphne le regarda, trahissant une affection qu'il peinait à comprendre. Mais Daphne savait. Elle savait qu'il s'agissait de ses derniers instants au cirque et que lorsqu'elle sortirait d'ici, ce serait fini. Alors elle posa un sourire nostalgique sur ses lèvres et sous l'attention aiguisée du jeune adolescent, elle ajouta:

-J'espère qu'on se reverra un jour.

La jeune femme  se laissa bercer par l'espoir de ces paroles et actionna la poignée de la porte. La première chose qu'elle remarqua fut une fenêtre entreouverte. Puis un bureau en bois sombre et enfin une moquette aux motifs orientaux. Il n'était pas question d'une baie vitré. Noy s'était-il trompé? Un doute la saisit lorsqu'elle huma une froide odeur de tabac et elle comprit aussitôt.

-Bonsoir Daphne Merin.

Évide l'avait convoqué.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant