Chapitre 17

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La mélodie d'un violon s'échappa de l'extérieur, arrêtant le temps pour quelques instants. Le rythme inspirait à Daphne une nostalgie qu'elle ne soupçonnait pas. Les notes suspendues et  les crescendo provoquaient de délicieux frissons. Presque instantanément, Aaricia s'écria:

-Icare s'est remis au violon!

Et elle sauta sur ses pieds pour s'élancer à l'extérieur de la pièce, Casper à ses trousses. Probablement, l'oiseau souhaitait également assister à cette représentation musicale. Ne resta plus que Daphne et Évide qui se dévisagèrent en chien de faïence. La jeune fille tira nerveusement les couvertures et s'assit convenablement au bord du lit. Sa poitrine ne la brulait plus, la boisson avait été efficace. Face à elle, l'homme ne bougea pas et plissa les yeux devant les vêtements qu'elle portait. Vexée, Daphne fronça les sourcils de mécontentement. La jeune fille se redressa et inspecta scrupuleusement sa tenue. Un jean et un polo, rien de plus classique. Qu'avait-il à dire à propos de ses vêtements? Sans émettre le moindre son, le mépris que lui portait le Directeur du Cirque était flagrant. Elle ne voyait pas ce qui pouvait clocher. Puis la jeune fille saisit aussitôt, ses vêtements étaient considérés comme bas de gamme. Elle se souvint les avoir acheté dans une boutique de la ville, lorsqu'elle avait déchiré son pantalon il y a 2 ans de cela. Avec Erika, elle avait...

-Erika!

Daphne se rappela soudain et s'imagina les pires scénarios. Elles s'étaient quittées lorsqu'Icare avait endormi le public à l'aide de poudre scintillante et à présent, cette dernière devait se faire du mouron. Protectrice comme elle l'était, elle devait déjà s'inquiéter.

-Ton amie dort à poing fermé dans son appartement, lui dit Évide du bout des lèvres. Saine et sauve.
-Je dois retourner auprès d'elle.
-Vraiment?

Décidée, la jeune fille acquiesça. Elle ouvrit la porte, un courant d'air frais lui balaya le visage. Enivrant les sens, la mélodie entêtante du violon provenait du fond du couloir sombre. Évide haussa les sourcils, narquois. Elle suivit son regard et baissant les yeux, elle  remarqua qu'elle n'était pas chaussée.

- Où sont mes baskets?
-Plait-il?

Daphne fixa le maitre du Cirque qui faisait rouler les perles de son collier sous ses doigts et d'un calme trompeur, elle répéta distinctement:

-Mes baskets.
-Oh.. Susurra-t-il. Vos immondes chaussures.

L'étudiante préféra couper court à cette conversation, elle ne mènerait à rien. Elle se détourna alors pour s'avancer précautionneusement dans le couloir plongé dans l'obscurité. Guidée par les notes violonesques, Daphne passa devant des candélabres et un dédale de portes qui lui donnait le tournis. Hasardeuse, elle pénétra dans une pièce, la première qui lui tomba sous la main et au centre de celle-ci, elle aperçut une silhouette dansante. Une baie vitrée laissait les rayons de la lune illuminer les lieux. Il s'agissait d'un studio de danse à la mine désuette et pourtant, les miroirs semblaient comme neufs. La silhouette  exécutait une danse si gracile et si souple au gré de la musique qu'elle se surprit à souhaiter l'imiter. Mais elle ne put se complaire éternellement de cette magnifique vision car on l'avait remarqué.

-Bonsoir. Comment va ton rétablissement?

L'étudiante avança et identifia son interlocuteur au son de sa voix. Il s'agissait du mannequin de cire qui l'avait fait danser sur scène. Il lui accorda un sourire rêveur.

-Mieux, merci.
-Bien.

À travers la baie vitrée, elle pouvait voir que le Cirque n'était plus dans le terrain vague de sa ville. En effet, des champs de rose s'étendaient à perte de vue. L'inquiétude pointa le bout de son nez.

-Où sommes-nous?
-Dans la salle de danse.
-Où sommes-nous réellement? Demanda-t-elle, la voix pressante.

Le mannequin ajusta ses manches et le sourire insouciant toujours au lèvres, lui répondit naturellement:

-Je n'en ai pas la moindre idée.
-Pardon?!

Daphne ouvrit de grands yeux affolés. Le désarroi se peignit sur ses traits et la fit crisser des dents. Ainsi donc, elle ne pourrait pas rentrer chez elle ce soir. Elle ignorait même  quand elle le pourrait de nouveau. Sentant la colère, ce sentiment si rare lui monter au nez, elle darda un regard brillant sur le mannequin qui haussa un sourcil. Dans un éclat, elle demanda:

-Comment partir d'ici?
-Pourquoi donc? Lui demanda curieusement le danseur.
-Je n'ai pas ma place en ces lieux.

Le mannequin de cire secoua la tête.

-J'ai entendu dire que c'est la seconde fois que tu atterrissais ici. Korell assure que ce n'est pas un hasard.
-Je vous garanti que ça l'est.
-Je ne crois pas aux coïncidences.

En son for intérieur, Daphne n'y croyait non plus. Mais c'était bien ce cirque qui était à nouveau passé dans sa ville, elle y avait juste mis les pieds une seconde fois. Sans espérer quelconques faveurs d'ailleurs.

-Tu réfléchis beaucoup trop, ce n'est jamais bon, lui lança le danseur.

Et il s'étira avec souplesse, habilité et précision. Daphne lui lança un regard torve.

-Permet moi de me questionner, cela a également être ton cas autrefois.
-Pas du tout.
-Vraiment? Puisque tu es si certain, pourquoi as-tu rejoins le Cirque Mystique?
-Pour l'amour.

Le mannequin de cire cessa son étirement sommaire et s'assit. Dans son regard flottait la lueur que seule la tendresse et la passion pouvait attiser. Ainsi donc, sa raison était guidée par ce sentiment universel. Daphne osa lui demander:

-De qui s'agit-il?
-Korell, avoua l'amoureux. C'est la raison pour laquelle je fais partie de cette joyeuse bande car je ne m'imagine pas loin d'elle. Tu connais ce sentiment n'est ce pas?
-Non.
-Dans ce cas, tu hésites pour cela.

Daphne fronça les sourcils, elle n'allait pas se sacrifier et rester auprès du Cirque au nom de l'amour. De plus, l'absence d'Erika lui pesait atrocement. Certe, cette dernière ne faisait pas partie de sa famille mais pour elle, elle avait acquis la place d'une grande soeur. À veiller sur elle constamment, à prendre sa défense et à combler ses silences. Or, elle était loin d'elle à présent. Il était vrai que le cirque la rendait vivante mais s'il lui fallait choisir, elle exigerait sa routine quotidienne, rythmée par les plats succulents et les grossièretés de sa colocataire.

-Tu souhaiterais te changer les idées? L'interrompit le mannequin de cire, en se levant. Inutile de ressasser de sombres pensées.
-Elles ne sont pas sombres.

Le violon jouait toujours en fond et le danseur lui tendit une paume froide. Des questions plein les yeux, elle s'en saisit avec hésitation.

-Dansons un moment, rien de tel pour éloigner les mauvaises chimères.

Une fois, la jeune fille avait lu que la danse était une excellente thérapie contre la dépression; il avait peut être raison. Après tout qu'avait-elle à perdre? Ce partenaire avait l'air agréablement sympathique et le sourire qui lui collait aux lèvres la décida. Une main sur la taille et l'autre sur l'épaule, le mannequin de cire lui indiquait les pas à exécuter au gré du violon. Un tourné, un pas à droite puis une ribambelle de gestes graciles. L'homme de cire était d'un niveau bien supérieur, elle se força toutefois à apprécier l'instant. Mais un frisson lui parcourut doucement  l'échine, ce moment n'allait certainement pas s'étirer en longueur. Il lui faudrait prendre une décision à l'issue de cette danse, quitte à faire preuve d'imagination pour y parvenir... 

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant