Chapitre 36

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La représentation avait été une réussite. Dans les coulisses, les artistes s'applaudissaient comme il était de coutume après chaque baissé de rideau. Ils avaient instauré cette tradition pour se rendre hommage ainsi que de préserver ce lien qui les unissait et qu'ils chérissaient tous. Malgré leurs différents et leurs accrochages, la troupe était une famille qui avait tissé des affinités dans les heures les plus sombres. Alors c'était avec le coeur qu'ils s'applaudissaient, ravis que cette soirée eût été merveilleuse. Daphne fut submergée d'un étrange sentiment de fierté, elle avait réussi à mettre sur pied un numéro qui lui avait valu une salve de viva. Elle en avait été secrètement émue, remerciant de tout coeur Icare qui avait été son camarade le temps d'une scène. Elle lui devait tant à présent. Zalie faisait le tour des artistes pour que chacun vienne retirer son costume dans le boudoir.

-Comme d'habitude, faite attention! Ce sont des pièces de collection.
-De quelle collection parles-tu? La taquina Angelo.
-Une privé que tu ne mérites même pas de porter, chenapan!

Et Zalie lui administra une gentille chiquenaude qui le fit rire. L'ambiance était calme, empreinte de douceur et de gaité. En effet, ils partirent ensemble pour le boudoir de Zalie tout en discutant, créant un ainsi un beau remue ménage. Noy narrait un récit rocambolesque sous l'oeil peu convaincu de son frère et Aaricia demandait à Korell si sa coiffure n'était pas défaite. Mais alors qu'Angelo ne cessait d'asticoter la couturière,  Océlia scrutait Icare avec douleur. Daphne qui s'entretenait alors avec le musicien le remarqua avec acuité. Elle se permit de demander, priant pour que son manque de tact ne puisse point l'affecter.

-Icare, puis-je te poser une question? Chuchota-t-elle hésitante.

Il ne la regarda pas mais il se doutait déjà de la teneur de la question. Pourtant, il acquiesça lentement.

-Que se passe t-il entre vous deux?

Elle ne prit pas la peine d'énoncer un nom, certaine qu'ils se comprenaient parfaitement bien. Icare lui rendit un sourire livide, à des années lumière de celui qui lui avait adressé sur scène.

-Absolument rien. Océlia se bat avec ses propres démons, c'est tout.
-Des démons comme la jalousie et l'envie, par exemple?

Le musicien serra les dents.

-Bien plus que ces vulgaires péchés.

Daphne se surprit à ne vouloir en savoir davantage. La voix d'Icare était devenu bien basse comme pour étouffer toutes velléités de curiosité. Elle retourna à Océlia qui avait été accaparée dans une discussion par une Zalie enthousiaste.

-N'as-tu jamais été éprouvée par tes démons intérieurs Daphne? Reprit alors Icare.

Il s'était redressé de tout sa hauteur et la dévisageait sans ciller. Les mèches blondes de ses cheveux effleurait gracilement ses épaules.

-Encore faudrait-il que j'en ai, répondit-elle.
-Tout le monde en a.
-Comme toi?

Il eût une triste risette qui assombrit son visage. Qui ne disait mot, consentait.

-Tous. Celui qui n'est pas dévoré par le vice, l'est par l'angoisse. L'histoire de chacun forge les esprits et les consciences qui deviendront des peurs. Ce sont le reflet de nos démons.
-Selon toi, il n'y aurait donc que deux solutions? Dévorer ou être dévoré?
-Il n'existe pas de relation saine, Daphne. Pas avec eux, du moins.

La jeune femme parut songeuse, les relations de dominance n'avait jamais fait bon ménage. Sa conscience ne l'avait jamais autant remué. Icare possédait un esprit bien complexe.

-Quel est le rapport avec Océlia? Finit-elle par demander.

Icare se raidit, le regard posé sur la contorsionniste. Contrairement à ce qu'elle avait cru au départ, il paraissait la comprendre bien plus que de mesure.

-Elle est éprouvée comme nous tous. Elle se reconstruit, ajouta-t-il si doucement que Daphne cru l'avoir rêver.

Par le ton de sa voix, Icare venait de conclure la discussion et la peintre n'osa renchérir. Elle le vit entrer dans le boudoir de Zalie, c'était à son tour de se délester de son costume. La jeune femme regretta qu'elle doive également l'enlever, elle aurait voulu le porter encore quelques heures. Il était rare de se sentir si bien dans un vêtement si beau. Angelo du le remarquer car il lui dit, mutin:

-Tu auras l'occasion de le remettre, ne t'y agrippe ainsi.

Daphne lui adressa une mine amusée, il l'avait percé à jour. Le langage corporel était plus parlant que les mots, si elle en avait douté un jour ce n'était plus d'actualité.

-Je savoure les derniers instants! Il est rare pour moi d'arborer de pareils habits.
-Cela ne le sera plus à partir de maintenant.
-Je l'espère, dit-elle davantage à elle même.

Mais Angelo avait aussi l'ouïe fine car ses yeux se firent espiègles; il avait entendu. Il avait saisit la portée de ces mots, ces termes qui attestait enfin de l'appartenance de Daphne au Cirque. Comprenant le sens de ces paroles, la jeune femme fut saisit d'un doute. Se pouvait-il qu'elle se sente bien auprès de ces gens? Si bien qu'elle ne veuille plus partir? Elle songea soudainement à Erika, aux souvenirs lorsqu'elle la dorlotait ou encore lorsqu'elles se confiaient toutes deux à mi-voix. Son amie devait être morte d'inquiétude. Daphne s'en voulu amèrement de jouer les artistes pour le compte d'un directeur qui lui avait forcé la main. Elle s'était laissé aveugler le temps d'un songe par le merveilleux mirage qu'était le Cirque. Mais à présent, sa raison s'était à nouveau éveillée et se rebellait en son for intérieur.

-Daphne, c'est bientôt à ton tour, l'avertit abruptement Zalie avant de retourner dans son boudoir.

Elle acquiesça et évita le coup d'oeil scrutateur qu'Angelo qui avait décelé son brusque changement d'humeur. Mais il ne fit aucun commentaire et rejoignit sa compagne qui s'entretenait à présent avec Owl, fraichement arrivé. Il paraissait reposé et il avait profité de la soirée pour troquer ses vieilles frusques pour de nouvelles. Et surtout pas de Casper à l'horizon, il devait certainement s'octroyer une sieste. Le coeur rebelle de Daphne s'apaisa aussitôt. Même lointaine, la présence du messager avait cet indescriptible sentiment de sérénité sur ses pensées.

Lorsque leurs regards se croisèrent, sa soudaine envie d'évasion fondit comme neige au soleil. Les prunelles d'Owl, si singulières, l'intriguaient, l'attiraient. Le roux de ses cheveux lui remémorait le coucher d'un soleil lointain mais empreint d'une telle émotion qu'on s'y arrêtait pour le contempler. Et c'était ce qui se passait, Daphne se perdit dans la contemplation muette du jeune homme. Son coeur en battait la chamade. L'éclat de son sourire la remua tant et si bien qu'elle prit soudainement peur. La peur viscérale de l'amour. Et alors, elle comprit ce qu'avait voulu dire Icare, son démon intérieur venait de se déclarer. Il ne tenait plus qu'à elle de le dompter mais elle savait d'avance qu'elle n'avait aucune chance.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant