Chapitre 30

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Daphne n'avait pas prévu de surprendre ce baiser passionné. Toutefois, elle y assista malgré elle, au travers l'interstice de la porte. Mais elle n'osa se déclarer, de peur de briser l'instant intime. Pourtant, Wooden le fit très bien lui même, agissant à la manière d'un goujat et le regard que lui décocha Zalie lui rappela aussitôt celui que lui avait adressé Korell auparavant. Cette dernière était venu jusqu'à elle et lui avait lâché du bout des lèvres que la costumière l'attendait. Et sans surprise, elle se s'était pas davantage épanchée. Daphne ignorait la cause exacte de ce ressentiment mais elle n'irait certainement pas en demander la raison. Perdue dans ses réminiscences, l'apparition au débotté de Wooden la surprit de manière déplaisante. Il ferma doucement la porte et lui adressa un haussement de sourcils éloquent.

-Voyez-vous ça...

Daphne eut la sensation désagréable de se trouver sous les feux d'une voiture.

-Le voyeurisme n'est pas recommandé au sein de la troupe, souligna narquoisement l'homme.
-Je ne souhaitais pas vous déranger.
-Je vois.

Puis avant de s'éloigner, il ajouta négligemment:

-Au lieu de bailler aux corneilles, il serait préférable que tu te hâtes. Les spectateurs font bientôt leur entrée.

Embarrassée par cette altercation importune, Daphne pénétra timidement dans le boudoir. Pourtant, Zalie s'était remise en scelle et l'accueillit à bras ouvert. Tandis qu'elle s'affairait du côté des cintres, Daphne étudiait son reflet dans le miroir à pied. Avait-elle changé depuis qu'elle était ici? Elle ne voyait aucune différence. Zalie s'approcha alors et lui présenta son costume. À peine l'eût-elle en main qu'elle sentit la douceur du tissu. Cela se confirma lorsqu'elle l'enfila, lui allant comme une seconde peau. Les précisions du vêtement étaient à couper le souffle, les dégradés marmoréens se liait subtilement aux drapés qui tombaient en une cascade translucide. Cette robe l'embellissait plus que de mesure.

-Parfait, je n'ai pas à faire de retouche sur toi! Je savais que le blanc t'irait comme un gant!
-Merci pour cette merveille...
-Ce n'est rien d'autre que mon travail et ma passion! Bon à présent, je dois faire mon rapport à Évide, tu sauras retrouver le chemin?

Voyant Daphne acquiescer, elle sourit et s'éclipsa discrètement. À présent, Daphne se mirait avec stupéfaction. Décidément Zalie était doté d'un talent hors pair. Elle se contemplait tant et si bien qu'elle fut surprise par l'apparition du jumeau sur le pas de la porte. Il était déjà en habit de scène, une collerette ornée autour du cou. Elle paria sur Yon.

-Oui?
-Icare te demande.
-Très bien, merci.

Puis sans demander son reste, il se détourna pour sortir par la porte restée ouverte. Daphne sortit à son tour du boudoir. Mais lorsqu'elle longea le couloir, elle y aperçut deux femme d'une grande beauté qui ne paraissaient pas être de simple spectatrices. En attestait leurs mines fureteuses et leurs indiscrets regards. Celle de droite arborait une chevelure blonde vénitienne et l'autre était brune, d'un brun glacé. Quand elles remarquèrent Daphne et de concert, elles la dévisagèrent curieusement.

-Bonjour Darling, commença la blonde de sa voix veloutée. Saurais-tu nous guider? Nous voudrions rendre une petite visite à votre messager..
-C'est que notre représentation risque de débuter d'un instant à l'autre.

Et sans raisons apparentes, elles s'esclaffèrent tapageusement, leurs lèvres grenats luisantes à l'éclat des bougie. Daphne ne sut quoi rétorquer, l'absurdité de leur réaction la laissa coite.

-Pas d'inquiétude Poussin, affirma-t-elle, doucereuse. Nous attendrons.

Le message était passée, elles atteindraient le but de leur visite ici. Mais leurs identités lui étaient inconnues, ce qui ne la rassura guère et le sourire féroce qui se prélassait sur leurs visages enjôleurs non plus. Faisant pourtant fi de toute prudence, Daphne leur demanda le motif exact de leur présence en ces lieux. Le sourire se fana mais les yeux restèrent braqués sur elle. Ce qui ne la rassura pas plus, au contraire.

-Mon chaton, ce ne sont pas des discussions pour toi. Owl peut bien se terrer, nous l'attendrons de pied ferme. Montre nous l'entrée de la représentation. C'est que, nous nous sommes égarées vois-tu?

Bon gré mal gré, Daphne se vit accepter de leur servir de guide. La jeune fille sentit les regards des deux visiteuses lui transpercer le dos ce qui la fit frissonner. Mais avant même qu'elle ne les accompagne dans leur quête d'Owl, Océlia passa dans le couloir. Lorsqu'elle la reconnut et qu'elle identifia les deux mystérieuses femmes, une ombre passa sur son visage habituellement morne. Une irritation s'y installa. La blonde s'exclama:

-Océlia ma douce! Comment vas-tu depuis tout ce temps?
-Que fais-tu ici Tiffen?
-Oh.. Eh bien, simple visite de courtoisie! Il faut dire qu'Owl nous manque, à moi et à la compagnie. N'est ce pas Ysle? Demanda la blonde vénitienne dans un haussement d'épaules faussement nonchalant.
-Et puis nous n'allons pas rater une représentation du Cirque venue dans nos contrée.. Ce serait contre nature et vraiment déplaisant, susurra sa compatriote, brune et fielleuse à souhait.

Daphne assistait à cet échange, ignorant le sens que cachait ce discours courtois aux premiers abords. Mais elle ne se faisait pas d'illusion, la menace était sous-jacente. Océlia se courrouça de plus belle.

-Le spectacle va débuter. Vous le verrez après!
-Ma chère, tu as bien de la chance que nous soyons des anges de patience. Amenez-nous à votre salle de spectacle. Nous verrons en effet par la suite...

Daphne leur indiqua alors, avec la voix la plus plate qu'elle possédait dans son répertoire, le chemin le plus court pour accéder aux sièges. Le spectacle commencerait dans quelques minutes. Puis elle les suivit du regard, leur démarches aériennes leur conférant une grâce particulière.

-Ne les approche plus! Intima Océlia lorsqu'elles furent hors de vue. Tu ne sais pas qui elles sont et tu devrais les éviter. Un vrai danger ces deux là!
-Pourquoi m'avertir? Il me semblait que tu ne m'appréciais pas.
-Je ne suis pas immature à ce point. Si tu penses ainsi, c'est à toi de grandir.

L'insolite de la situation dérouta la peintre. Mais au vif souvenir du coup de jalousie d'Océlia, Daphne songea que c'était vraiment l'hôpital qui se foutait de la charité.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant