Chapitre 27

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-Que veux-tu créer Daphne?

Icare, nimbé de la lumière du jour, était sincèrement curieux. La jeune fille songea alors à ses cours théoriques et pratiques d'histoire de l'art et affirma qu'elle se dirigerait vers la peinture.

-Selon toi, mon rôle serait de t'aider à confectionner un numéro avant la prochaine représentation? Demanda le musicien.
-C'est cela.

Il s'appuya précautionneusement sur le piano, dans le coin de l'atelier et scruta la cime des montagnes au travers la fenêtre. Il secoua la tête:

-Le temps nous échappe malheureusement et nous ne seront pas prêt. Je vais te proposer une idée.
-Je t'écoute .
-Que dis-tu de partager un numéro commun?

L'oeillade qu'il lui lança attendit une confirmation qui vient aussitôt. Daphne sourit, n'osant espérer meilleure intronisation artistique. Icare releva alors les manches de sa chemise colorée et releva ses cheveux d'un tournemain. Dans l'armoire en chêne qu'il ouvrit à la volée, des chiffon blancs fleurant le lilas étaient pliés aux côtés de tubes de peinture classées par teinte. Des dizaines de pinceaux usées attendaient d'être utiles sur la surfaces des toiles rangées bien plus bas.

-Je me pratique parfois à la peinture mais je me trouve de meilleurs talent en musique. Ce matériel est toi si tel est ton désir.

Reconnaissante, elle entreprit de faire honneur à cette générosité en peignant. Elle était fin prête à s'exprimer. Saisissant un pinceau qu'elle trempa dans une encre bleutée, elle entama un portrait par les yeux et leurs prunelles. Dérivant lentement sur l'arête du nez pour caresser les joues, elle dessina les lèvres pour chatouiller le menton et le cou. L'esquisse se mouvait sous son passage, comme pour prouver qu'elle existait quelque part dans le grain du papier. Plus le visage d'Icare se dessinait avec clarté, plus l'encre séchait et dévoilait une nostalgie sans nom. Elle traça. Elle fignola. Elle finit son portrait. Le rendu était tout en finesse et criant de réalité.

-Je pense savoir ce que tu peux exploiter de ton talent, lui dit le musicien. Veux-tu voir lorsqu'on allie peinture et mélodie?

Alors le musicien posa alors les doigts sur les touches du piano et s'assit sur le tabouret. Il débuta un morceau qui l'émut profondément. Son toucher était aussi léger qu'un papillon et les premières notes égalaient en beauté les silences qu'il imposait. Ses longs doigts se mouvaient gracieusement, le piano l'emportait haut..si haut. Par delà les nuages cotonneux, dans l'infini du ciel bleu, survolant les plaines fleuries et les montagnes embrumées. Elle était un oiseau aux ailes brunes et sentait le vent sur son plumage. Elle volait à présent au dessus de l'eau. À la surface de l'eau foncée, son reflet renvoyait l'image d'un oiseau comblé. Puis la musique se mua soudainement. D'une incroyable dextérité, les mains d'Icare se mouvaient et provoquaient notes maîtrisés sur notes intenses. Caressante, cajolante, virevoltante et passionnée, la musique s'enroulait et se contorsionnait dans les airs. Savourant délicieusement la montée frissonnante des nuances musicales, Daphne se laissa emporter par l'émotion.

Taquinant les touches avec mesure, le musicien s'arma de patience avant d'augmenter l'intensité de son jeu. Des variations saccadée qui piquaient au coeur à l'incandescence, le pianiste respirait difficilement. Halètements. Plissements d'yeux. Dernier effort. Il apporta le coup de grâce, sublime et transcendant. Soufflé par un tel talent brut, Daphne n'osa intervenir, de peur de briser cet instant sacré. La toile où s'était prélassé le portrait avait été le théâtre de plusieurs illusions qui s'étaient succédé au rythme du piano. Avec les dernières notes, les ultimes visions s'étaient éteintes tel la flamme d'une bougie mouchée. À présent, le papier proposait un grain neuf, plus d'encre, plus d'Icare peint.

-Qu'as-tu vu? Demanda-t-il enfin.
-Des illusions... J'ai vu une forêt touffue, un ciel ensoleillé et des oiseaux s'envolant au loin.
-Quoi d'autre?
-C'était brumeux, j'ignore si ce que j'ai vu était réel.
-Quoi d'autre Daphne? Insista-t-il.

Daphne hésita se prononcer mais avoua:

-J'ai également vu le visage d'un vieil homme émacié et celui d'une jeune fille en pleurs. Vous aviez les mêmes cheveux tout les deux.

Le musicien laissa son regard vagabonder sur les noires et les blanches du piano, la mine concentrée. Une mélodie toute nouvelle envahit l'air. Une mélodie venant du tréfonds de l'âme, une mélodie pour apaiser les coeurs.

-As-tu eu de la peine? Demanda-t-il.
-Oui, je suppose.

En effet, à la vue du soleil et des oiseaux, Daphne avait ressenti une liberté en son for intérieur. Mais la vision du vieil homme lui avait inspiré qu'une sourde peur tandis qu'elle n'avait éprouvé qu'une tristesse infinie pour les pleurs de cette jeune fille. Son aveu fit doucement sourire Icare qui cessa de jouer.

-Il s'agissait de mes rêves.
-Comment ça?
-Tu m'as représenté sur cette toile, il s'agissait de mon visage. Ainsi, la mélodie allait dévoiler mes songes. Si le portrait sur le papier était le tien, il aurait s'agit de tes pensées les plus secrètes.
-Et cela ne te dérange pas que j'ai eu accès aux tiennes? S'inquiéta Daphne.
-Non Daphne. Je ne t'en serais pas rancunier.

Icare se leva du tabouret et s'approcha de la toile qu'il effleura délicatement.

-Je souhaitais illustrer la beauté du lien qu'unit la peinture et la musique, reprit-il. Il s'agit d'une fusion magnifique et je serais honoré de travailler à tes côtés. À présent, que dirais-tu de créer le final de la représentation de ce soir?
-Je dis que c'est excellente idée, acquiesça Daphne, ravie.

La course de l'astre solaire se poursuivait vélocement, il était enfin temps de mettre sur pied un numéro qui relèverait du sublime.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant