Chapitre 43

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La longue file indienne dépasse l'entendement. En cette nuit hivernale, un Cirque s'était posé sur un terrain fraîchement tondu près de la mairie de la ville. La Grande Arche accueillant les spectateurs fait apparemment bonne impression. Des volutes de fumée opaques se dégagent de l'entrée du chapiteau où deux frères identiques invitent d'un geste d'une parfaite synchronisation à attendre l'ouverture. C'est qu'ils sont mignons à afficher ce sourire doucereux...

Jetant un œil au prospectus, les curieux ne peuvent savoir ce qui se trame en ce lieu nimbée de mystère ni ce qui les attend. Ils tentent de percevoir l'intérieur du chapiteau de là où ils se trouvent  mais outre les jumeaux aux regards malicieusement étranges, rien n'est visible. Mis à part la sorte de brouillard épais.

L'aurore se couche et laisse place à un cadre nocturne. Le futur public trépigne lorsque les deux garçons entrent soudainement en laissant filtrer la lumière tamisée de l'intérieur. C'était l'ouverture du cirque. Dans le calme d'un soir de Décembre, tous pénétrent dans l'enceinte du chapiteau. Chacun son tour. Et à la file interminable vient s'ajouter d'autres
intéressés.

Une senteur de cannelle les accueille de plein de fouet. La chaleur enveloppante également. Un accordéon se mouvant seul, laisse échapper une mélodie traînante tel une boîte à musique. Les cinq sens se délectent.
En réalité, l'intérieur n'est pas une piste de cirque. Et à dire vrai, les gradins sont inexistants. Un peu déboussolé, le public balaye des yeux l'endroit où se il se trouve. Une petite salle circulaire lambrissée de rayures sobres. Des entrées sombres ouvertes s'étalent sur les murs. Et les spectateurs continuent à affluer.

Les jumeaux les avaient guidé jusqu'ici et à présent, il s'engouffrent chacun dans un passage différent. Les ténèbres semblent les avoir engloutit. Certains séduits par le mystère planant les suivent aussitôt. D'autres empruntent une entrée à l'opposé, attirés par la senteur délicieuse de cannelle. Et ceux qui restent sont méfiants. Ils se dévisagent entre eux.

À la litanie incessante de l'accordéon s'ajoute une voix cassée aux relents d'opéra. La pièce se met légèrement à tourner, où du moins c'est l'impression qu'ont les spectateurs. Un rire d'enfant s'échappe aussitôt d'une des portes. L'adrénaline les gagne et leur fait hérisser les poils. Du chocolat vient chasser l'odeur persistante de cannelle. Les repères sont effacés.

Comme des automates, ceux qui restent choisissent tous le même passage. C'est de là dont provient la voix envoûtante. Teintée d'un accent et roulant les r, elle berce et illusionne. Elle fredonne un chant lointain, l'accordéon menant la danse.
Doucement, ils avancent dans le couloir sans lumière. Ils débouchent sur un décor de théâtre. Des coulisses plus précisément. Des planches en bois jonchent le sol, des caisses parsèment ici et là l'espace. De grands draps cachent d'immenses toiles.

En son milieu, une fillette brune tourne sur elle même.
C'est elle qui chante. Les spectateurs s'avancent troublés sans pouvoir dire quoi que soit. Lorsqu'elle les aperçoit, la petite fille leur sourit et faisant voleter sa robe, elle s'enfuit derrière un décors du théâtre. Interdits par ce soudain revirement, ils reprennent vite contenance et la suivent. Ils passent entrent des poutres et et des statues en pierre. La brunette disparaît derrière un sablier grandeur nature où s'écoule un liquide rougeâtre sombre. Les gouttes finissent leurs courses dans un bruit mat. Des spectateurs observent l'étrange objet tandis que d'autres tendent l'oreille. L'accordéon n'est plus seul. Un xylophone tinte doucement.

Un petit bruissement sur leur gauche les fait sursauter. Le fameux rideau rouge de théâtre ondule en de légères vagues. La petite chanteuse est sûrement derrière. Et en effet, vêtue de sa robe toute en tulle, elle trottine malicieusement jusqu'à l'entrée par laquelle les spectateurs étaient arrivés. Attirés par son allure de poupée, il la suivent aveuglément et repasse par le couloir sombre.
Retour à la case départ.
Retour dans la salle aux mille portes.
Ce dédale d'ouverture.
Toutefois quelque chose avait changé.
Ou plutôt quelqu'un.

Derrière l'accordéon, il y a cette fois un jeune homme. Il joue, concentré sur les temps et les tempos. Il cale son rythme sur celui du xylophone dont les baguettes frappent indépendantes les touches colorées. Lorsqu'il lève son visage, les spectateurs sont frappés de stupeur par la beauté du musicien. Changés en statue de sel, ils ne le quittent pas du regard sans même se rendre compte que la musique a cessé. La petite fille disparue. Par contre, un chat noir au orbes lumineuses sort d'une des entrées.

L'homme blond se lève gracieusement, les invite à le suivre. Non sans se départir de son sourire énigmatique, il recule en de grandes enjambées et disparaît à son tour dans un passage au hasard. Une spectatrice s'apprête à le suivre, complètement sous le charme mais le chat lui bloque la route. De par son attitude, il lui intime de le suivre. Dans le silence des plus complets, ils marchent, leurs pas claquant sur le sol. Pas de musique pour les accompagner mais l'odeur chocolatée revient éveiller leur papilles. La lueur au bout du couloir où il est impossible de distinguer quoi que ce soit les fascine. Plus ils approchent, plus la température augmente.

Ce qu'ils voient en premier, c'est un feu de bois. De couleur bleu, il crépite et laisse échapper une lourde chaleur. Aussitôt, les spectateurs s'éventent de leurs mains libres. Certains vont même jusqu'à ôter leurs manteaux. Puis au dessus de leur tête le ciel nocturne, le croissant de lune caché par les nuages brumeux. L'odeur sucrée provient de cette petite fontaine chocolatée qui coule à flot. Mais une silhouette capte leur attention. En effet, s'y abreuve une femme à la chevelure violine. Elle également ne pipe mot lorsqu'elle les voit. Elle se pourlèche les babines tout en s'avançant vers le feu, de sa démarche de danseuse. Et sans attendre, elle y plonge.

Dans un cri commun, les spectateurs se précipitent pour lui porter secours. Or se qu'ils voient n'est pas vraiment ce à quoi ils s'attendent . C'est une femme en effet, mais à la différence, celle ci arbore une crinière rousse et des yeux de chats. Elle s'extirpe des flammes a force de moult gestes graciles avant de les souffler avec force, invitant l'obscurité à la fête.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant