Chapitre 57

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-Plutôt par ici, je vous prie !

La domestique lui intima l'ordre de se hâter, la trouvant sûrement trop lente. Daphne n'en prit pas ombrage, trop occupée à découvrir les détours du manoir. Suivant le pas pressé de la jeune servante, elle laissa son regard vagabonder sur le décor de l'aile ouest. Cette partie de la bâtisse jurait avec l'austérité et la froideur de la partie est. Les motifs muraux se fondaient dans un cramoisi flamboyant se déclinant à l'infini dans une mise en abyme complexe et recherchée. Une douce lumière émanant de petits candélabres en forme de chauves-souris conférait au lieu une chaleur intime. Daphne se perdit parmi les ornements du mobilier de style byzantin. Elle se noya au milieu de ces couleurs chatoyantes ; elle tomba de ravissement à la vue de vitraux illustrant plusieurs scènes religieuses dont l'une retint son attention : un homme à la chevelure dorée penchait son visage humblement vers l'avant , joignant les mains, il semblait se repentir. Sa contemplation prit fin lorsque la domestique interrompit sa course face à une lourde porte en bois. Celle-ci ânonna les règles d'usage, se pliant de mauvaise grâce, à l'étiquette imposée par Haru. Elle invita hâtivement Daphne à entrer. La porte grinça et la servante se volatilisa l'instant d'après.

-Merci pour le service ! Marmonna Daphne.

Elle avança au centre de la pièce pour apprivoiser la chambre qui sera sienne pour la prochaine nuit. Le manoir avait mis à disposition ses chambres d'hôte pour remédier à l'afflux impromptu d'occupants. Dans toute cette effervescence, elle avait eu l'occasion d'être présentée au maître du conseil. Rimec lui avait laissé une étrange impression... C'était un homme pleins de paradoxes : un sourire éclatant conjugué à un regard scrutateur. Il semblait lire en elle comme dans un livre ouvert. Un être troublant qui lui avait semblé malgré tout bienveillant à son égard.

Ce ne fut qu'au terme de l'entrevue avec le maître des lieux que la domestique lui avait demandé de la suivre sur le champ. Mais elle avait quand même pu échanger deux mots avec Owl qui lui avait arraché la promesse d'un rendez vous nocturne. Minuit sur le perron du manoir.
À présent, dans cette vaste chambre plongée dans un clair obscur, elle avançait vers le lit à baldaquin ; sur son passage des lampes à huile s'allumèrent. Daphne se surprit à esquisser un sourire au souvenir d'Owl et éprouva une hâte de le revoir bientôt. Une délicieuse senteur de lilas embaumait l'oreiller, elle s'assoupit presque aussitôt ayant comme dernière pensée le doux visage du messager.
Son songe fut peuplé de personnages dantesques.
Lorsque trois coups contre sa porte firent écho à son rêve, Daphne s'éveilla, encore hypnotisée par ce monde parallèle. Elle ouvrit la porte et découvrit dans l'embrasure un duo qu'elle ne songeait pas croiser de si tôt. Voici une véritable raison de frémir, pensa-t-elle alors. Incertaine de l'attitude à adopter, elle bredouilla le souffle court.

-De quoi s'agit-il?

Juyli et Sown lui adressèrent un salut de concert. L'ainée de la fratrie s'avança d'un pas assuré.

-Tu nous laisses entrer?

Que lui valait cette visite inattendue ? Elle tenta de décrypter sur leur visage un quelconque indice. Mais ces deux-là étaient aguerris dans l'art du double jeu. Daphne reprit contenance.

-Et pourquoi le ferais-je ?
-Pourquoi le ferais-tu ? Lui lança un Sown amusé. Mais parce que les murs ont des oreilles très chère et les portes bien plus encore !

Daphne trouva cet argument absurde ; toutefois elle leur céda le passage. Elle crut un instant ne pas être sortie du songe.Tel un mirage, elle les vit s'installer sur les deux bergères, près de la cheminée d'apparat. Ils posèrent sur elle un regard scrutateur. Décidément, Rimec s'était dédoublé mais le sourire arboré par sa progéniture paraissait bien moins clément.

-Tu sembles perplexe, remarqua Juyli,
-Je suis bien plus que cela, avoua-t-elle avec hésitation.
-Il ne faut pas l'être, ça compliquerait les choses.

La diction de cette femme était si familière aux oreilles de Daphne qu'elle ne cessait de la dévisager, espérant y retrouver les traits de son amie d'antan.

-À sa place, je refuserais de répondre à tes questions ! Railla Sown
-Père t'a permis d'assister à cet entretien mais un mot de ma part et la messe est dite! S'emporta Juyli à l'encontre de son frère.

Malgré ces chamailleries qui auraient pu la distraire, Daphne resta concentrée et ne put détourner les yeux de ce visage outageusement maquillé. Elle énumérait mentalement les ressemblances qu'elle pouvait y relever afin d'élucider cette étrange sensation.

- Je souhaite te poser des questions sur l'affaire qui secoue ta troupe! Reprit Juyli d'un ton péremptoire. Y répondras-tu sincèrement Daphne? Demanda-t-elle.

La jeune fille se figea. Cette manière de prononcer son prénom, d'accentuer sur la seconde syllabe était unique. Elle en était presque certaine.

-Commençons. Que pensais-tu du jeune Icare avant ce funeste incident ?
-Je l'appréciais, répondit Daphne d'une voix blanche.

L'attention de Sown se trouvait à présent happée par le regard singulier que portait la jeune fille à Juyli, elle la fixait sans ciller. Il comprit alors de quoi il retournait. Follement excité, il se prélassa sur son fauteuil, anticipant les événements savoureux en perspective.

-L'appréciais? Ce n'est plus le cas? Observa Juyli.
-C'est toujours d'actualité! Répondit Daphne.
-Il vous a pourtant trahi.
-Nous n'en savons rien.
-C'est exact. Mais difficile de croire le contraire, n'est ce pas? En ce sens, il vous a omis certaines choses.
-Peut être avait-il ses raisons?
-Quelles peuvent bien être les raisons qui pousserait une personne à mentir à ses camarades et amis?

Tandis que Juyli fronçait les sourcils, Sown avait hâte que cette passe d'armes s'achève sur des révélations.

-Alors, en as-tu une idée ? Demanda à nouveau Juyli.

Daphne s'agaça de cet interrogatoire. Le jeune freluquet, qui lissait de ses doigts sa longue chevelure blanche, défia sa soeur ouvertement.

-En réalité, notre très chère Daphne est en plein dans le thème, intervint-il sournoisement. Mensonges, duperies et que sais-je encore ?
-Je te conseille de ne pas te mêler de ça !Avertit Juyli.
-Allez, la vérité finit par éclater tôt ou tard, sœurette !

Elle s'exaspéra et se tourna subitement vers son frère, en proie à une furieuse envie de le frapper pour qu'enfin il se taise. Faisant mine de l'ignorer, Sown continua imperturbable.

-Admets que ton jeu n'est pas si convaincant ! Il n'y a aucune honte à être une piètre comédienne.

Juyli s'apprêta à en découdre mais Daphne lui ôta toutes velléités quand elle lui confia attristée:

-J'aurais préféré ne pas te revoir dans ces circonstances !

Juyli se tut. C'était certainement ce qu'elle espérait au fond d'elle. Daphne était une personne qu'elle chérissait réellement. Mais l'avouer ouvertement serait faiblir aux yeux des membres des extensions qui lui avaient confiée une mission. ll en était hors de question! Ce n'était pas le moment, surtout devant son diablotin de frère.
Daphne sentit doucement son cœur se réchauffer. Délicatement, elle avoua à mi-voix, certaine qu'elle l'entendait:

-Tu m'as manqué Erika.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant