Chapitre 47

3K 447 43
                                    

-Quel plaisir de vous revoir! Mon cher ami, cela fait bien une décennie que nous ne nous sommes vus.

Assis sur un siège à l'apparence vieillotte, Rimec referma son livre d'un geste brusque. Les lourds pans de rideaux ne laissaient aucune parcelle de lumière pénétrer dans la salle qui ressemblait à s'y méprendre à une bibliothèque. L'éclairage artificiel provenait des lampes à huile ou de bougies éparpillées dans la pièce. Évide soupira d'aise, ce lieu lui étant familier. Il avait passé de nombreuses heures à lire et à s'instruire, baigné dans la lumière d'une flamme brûlante. Le souvenir de ces instants en compagnie de l'homme devant lui le rendit nostalgique. Son ami se leva. Sa mise élégante était toujours aussi irréprochable, comme dans ses souvenirs.

-Je suis également ravi de vous voir, l'attente a été longue.
-Toujours aussi pudique n'est ce pas? Vos sentiments ne s'extériorisent toujours pas..
-En effet.

Rimec arrangea son col en souriant avec distance. Puis Naeve, retira son masque et interpella son regard. Elle dénoua son chignon et ses cheveux bruns brillants tombèrent en cascade. Ses paupières papillonnèrent un certain temps et elle sourit. Son kimono au drapé chatoyant se mouvait au jeu du clair obscur tandis qu'elle avançait vers Évide. Sous ses longs cils, elle avisa l'homme au cheveux gris, leva la main et lui caressa la joue du bout des doigts. Une caresse aussi légère qu'un papillon..

-Nous sommes enfin réunis tous les trois.

Les yeux bleus larmoyants de Naeve décontenancèrent quelque peu le maître du Cirque. Limpides et clairs, ils s'apparentaient à deux glaciers. Rimec soupira et l'enlaça tant et si bien qu'elle lui rendit son étreinte. Évide assista alors à une marque d'affection fraternelle qui le propulsa des années auparavant. Ces deux là avait une manière si tendre de tenir l'un à l'autre qu'il les enviait pour cette relation. Depuis leur adolescence, il avait maintes fois tenté de s'inclure dans leur bulle, sans succès. Du moins le pensait-il car les larmes de Naeve remettaient en question ses suppositions déjà bien installées. Il détourna le regard, mal à l'aise.

-Vous êtes toujours aussi démonstratifs...
-C'est toi qui ne l'es pas assez!
-Sans doute.
-Rimec n'a point tort. Tes émotions ne se sont pas dégelées depuis la dernière fois.
-Il le faut bien lorsque l'on gère une troupe.

Rimec se gaussa en ajustant son col. En de doux gestes précautionneux, il boutonna son veston. Ses cheveux bruns coupés de près lui conférait un air sévère. Pourtant Évide le percevait comme un homme facile à vivre. Mais il savait que Sown ne tenait pas son caractère fourbe et cruel de sa mère. Pour l'avoir connu, Sierra était le contraire même d'une manipulatrice. Non Rimec était un monstre. En réalité, il en était un, lui aussi. Tous les chef des extensions du Siège en étaient, c'était ainsi. Mais certains l'étaient plus que d'autres.

-La poigne de fer est un allié puissant, c'est juste. Mais le gant de velours l'est plus encore.
-Dévoile-moi le fonds de ta pensée.
-Vois Évide. Et apprends.

Sous les ombres et les lumières provenants de la bougie, Rimec se munit de son masque immaculé, accroché au mur. Avant cela, Évide put contempler la dureté qui avait modelé les traits de son ami. Il aurait pu le craindre dans sa jeunesse. Pourtant, jamais un sentiment de peur ne l'avait étreint en sa présence, aussi menaçante soit-elle. Tirant sur une mignonne clochette, le maître du Siège se tourna en direction des portes de la bibliothèque. Deux petits bonhommes se présentèrent aussitôt, tirèrent une révérence et firent entrer deux filles. Les deux danseuses qui attendaient leur sentence.
Naeve, également masquée, se mit spontanément en retrait. Elle gardait les lèvres scellées et se saisit de l'avant bras d'Évide. Il ne s'en délogea pas, bien trop curieux de la suite des événements. De cette curiosité malsaine qu'il cultivait à chaque fois qu'il se retrouvait en compagnie de Rimec. D'ailleurs, celui-ci se décida à parler:

-Tiffen Falengaï et Ysle Besercly! Quelle surprise de vous voir en ces lieux..Quels bons vents vous amènent? À moins que ces vents ne soient pas très favorables. Du moins, c'est ce que j'ai cru comprendre. Mais peut-être me proposeriez-vous une meilleure explication?

Évide retint un sourire mauvais. Ainsi, son ami était un vicieux. La voix doucereuse était sa meilleure arme afin de persuader autrui qu'il était une personne compréhensive. L'ayant déjà vu au Conseil user de cette technique aux desseins sournois, il savait déceler lorsqu'il l'utilisait à présent.

- Non? Vraiment? Voyons, je suis certain que vous avez des anecdotes très intéressantes à nous révéler. Y a-t-il une raison particulière à provoquer un scandale pareil au sein de la troupe du Cirque Mystique? Je vous le demande...

Les deux jeunes femmes se taisaient. En réalité, aucune n'avait l'intention de parler, écrasées par l'autorité feinte du maître du Conseil. La voix seule suffisait à le rendre terrifiant aux yeux de Tiffen. Ysle le craignait de réputation, elle avait entendu toutes sortes de rumeurs à son propos. Et à présent, elle avait l'occasion de le rencontrer mais pas dans les meilleures conditions. Et le fiel qui se dégageait du personnage lui rappelait quelqu'un aux cheveux blancs et aux prunelles vairons.
Comme un électrochoc, elle s'entendit s'exclamer:

-Sown était avec nous! C'est lui qui nous a poussé à y aller. Il a dit que c'était pour s'amuser!

Un ricanement sinistre s'échappa de la bouche d'Évide. Pour s'amuser, Sown s'était amusé, c'était certain!

-Je vois que vos arguments n'en sont pas. Peut être que Tiffen Falengaï aura-t-elle plus de verve?

La dénommée Falengaï balbutia des paroles inintelligibles dont la moitié finissait dans un borborygme. L'homme aux cheveux argentés la trouva plus lâche encore. Sa camarade d'infortune possédait au moins du courage pour défendre leur cause.

-Je vois. Qu'allons nous faire dans ce cas? Je me trouve face à un dilemme. La violation de règlement est passible de châtiments...graves. Vous les connaissez mieux que moi, j'en suis persuadé, n'est ce pas? Mais pourquoi ne pas attendre votre très chère mère, Tiffen? Le solstice d'Hiver nous permettra de discuter de votre cas en sa compagnie! Ce serait très instructif... Et vous Ysle? Une sanction du Conseil vous permettrait-elle de vous remettre en question? Ou bien une sanction des membres du Cirque? Oui, quelle bonne idée!

Évide acquiesça, trouvant l'idée excellente. Ce n'était que justice après tout. Il avança de sa voix grave, provoquant la panique chez les deux troubles-fête:

- Parler à Malacia de son cas est une aubaine. Je suis pour. Concernant l'autre, je doute que les membres de mon Cirque ait du temps à lui accorder mais nous verrons... Peut être le trouverions nous, ce temps.
-Mais Sown était avec nous! Il étai..
-N'aggravez pas votre cas Ysle Bersercly, susurra Rimec. Vous ne voudriez pas me contredire n'est ce pas? Non, vous ne le voulez pas.. Alors apprenez à entrer et à rester dans le rang.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant