Chapitre 29

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-Tourne toi que je puisse t'arranger quelques coutures.

Dans le boudoir de Zalie, les rouleaux de tissus étaient négligemment posés sur la grande table en bois à l'instar des rubans et des aiguilles. L'odeur de la création embaumait les recoins de la pièce et les miroirs était les spectateurs de cette joyeuse pagaille. Le boudoir symbolisait le lieu exclusivement féminin du Cirque, celui où les discussions entre femmes avaient lieu à huit clos et où les potins s'immisçaient avec délice. Zalie avait le don de donner vie à sa pièce favorite, quelques bergères où s'assoir, des tableaux d'horizons lointains et des rideaux grenats suffisaient pour harmoniser le tout. Océlia sirotait du thé en inspectant les coussins rembourrés dont les motifs rappelaient les ailes colorés d'un papillon. Korell se tenait près de la grande étagères où Zalie rangeait son matériel à couture, les mains sur la taille afin de faciliter le travail de son amie. La poupée arrangeait à la hâte un pli à la poitrine, un point irrégulier ou une imperfection qui n'échappait pas à son regard perfectionniste.

-Maintenant, lève les bras.

Alors que Korell s'exécutait, Ocelia vida sa tasse d'une traite et la posa bruyamment sur la petite table basse. La rousse l'observa de loin. Son regard glissa sur la tasse, se détourna puis vira curieusement sur son amie.

-Ne t'acharne pas ainsi sur ce pauvre objet, il n'a pas à être le souffre douleur de tes sautes d'humeur.
-C'est une tasse inanimée. Peut importe que je la brise, elle n'a pas d'âme.

Zalie piqua une dernière fois dans le tissu et soupira, parfois Océlia pouvait être tellement déprimante! Elle permit à Korell de baisser les bras et la laissa s'assoir parée de son costume de scène. Pas peu fière de ce beau vêtement scintillant, elle en avait profité pour accorder sa teinte émeraude avec le costume d'Angelo. Ils seraient harmonieux une fois sur scène. Invitant à son tour Océlia à se tenir devant elle, la couturière lui tendit le cintre sur lequel son justaucorps se balançait au gré des mouvements.

-Habille-toi que je puisse voir si il y a des retouches à faire.

Alors qu'elle s'exécutait, Korell demanda, la mine de ne pas y toucher:

-As-tu préparé un costume pour la nouvelle?
-Pour Daphne? Bien entendu, quelle idée!

Korell acquiesça silencieusement. Zalie toisa alors la danseuse d'un air peu dupe, elle n'était pas née de la dernière pluie.

-Qu'as-tu à ajouter à son sujet? Cesse de tourner autour du pot.
-Je me demandais ce que vous pensiez d'elle, c'est tout.

Océlia grommela qu'elle n'en avait cure. Elle se scrutait à présent dans le miroir, sublimée par le drapé lumineux de son costume, qui rehaussait le teint de sa peau et contrastait avec l'améthyste de sa chevelure. Mais l'oeil avisé de Zalie repéra un accroc qu'elle reprisa aussitôt.

-Elle me semble être une bonne personne, dit-elle. Pourquoi te tracasse-t-elle?
-Je n'irai pas jusque là... Mais je suis simplement prudente, tu comprends?

La poupée, plongée dans son labeur, eut le temps de secouer la tête de confusion.

-Non pas vraiment, s'entendit-elle répondre.
-Eh bien, j'ignore tout d'elle et ça m'inquiète un peu.
-C'est le commun de toute nouvelle recrue, ma chère. En quoi Daphne serait-elle différente?

Goguenarde, Océlia lança une oeillade facétieuse par dessus son épaule.

-Owl est sous le charme de la nouvelle, railla-t-elle. La voilà, la différence!
-Et est-ce réciproque? Demanda Zalie, soudainement curieuse.

Cette dernière s'était relevée et dévisagea ses amies à tour de rôle, dans l'espoir de grappiller quelconques informations assouvissant son penchant cancanier. Korell s'était raidie et arborait une mine butée.

-Tu n'as qu'a demander à Océlia puisqu'elle est si observatrice.
-Inutile de faire cette tête, ce n'est pas un crime d'être percée à jour.
-Parle pour toi, tu ne nous racontes aucun détail de ton passé!
-Détrompe toi, je vous en dis plus qu'à quiconque! Mais puisque tu as décidé d'être une enfant jusqu'au bout, je ne te confierai plus rien.

Zalie lui ordonna de se tourner pour couper court aux prémisses d'une dispute ridicule. Décidément elle se demanderait toujours comment ces deux-là avaient pu se lier d'amitié avec des caractères si opposés.

-Korell, cela te gêne tant qu'Owl soit intéressé par elle?

Korell observa les petites perles qui jonchait sa manche et soupira longuement.

-Ça me préoccupe davantage, je ne veux pas qu'il se fasse avoir encore une fois. Il n'est pas comme moi, c'est un romantique au grand coeur.
-Ton frère est aussi un grand garçon, dit Océlia.
-Je croyais que tu ne m'adressais plus la parole, toi! S'écria la danseuse.
-Je donnais mon avis! Si tu n'en veux pas, bouche-toi les oreilles!

Zalie coupa le fil de son aiguille et fit claquer ses ciseaux de désapprobation.

-Mais vous êtes insupportables, ma parole! Allez ouste, hors de mon boudoir! Pour la peine Korell, tu vas m'envoyer la petite Daphne. Il me la faut dans cinq minutes!

Océlia ricana et Korell ne put faire la fine bouche, elle se plia donc aux exigences de son amie. Amie qui, à présent seule, sortait le costume de la peintre de sa housse. Elle était également ravie du résulta de ce dernier qui, elle le pressentait, allait miroiter au gré des lumières. Trop occupée à inspecter attentivement chaque détail, Zalie n'entendit pas le nouveau venu pénétrer dans son boudoir. Elle remarqua sa présence seulement lorsqu'il posa lascivement ses mains sur sa taille. Elle sursauta.

-J'ignorais que je t'inspirais tant de surprise, lui murmura suavement Wooden à l'oreille.
-Et quelle surprise..., marmonna-t-elle, aspirant tant bien que mal à calmer le rythme effréné de son coeur. Que fais-tu ici?

Ils s'observèrent un moment, s'apprivoisant du regard. Mais se passant alors d'artifices, Wooden lui saisit la nuque et lui vola un baiser hardi. Une fois la stupéfaction passée, Zalie se laissa aller à cette fougueuse passion, frissonnant par tant de fièvre. Cette ardeur ne dura que le temps d'un intense instant mais resta gravée dans sa mémoire. Lorsque leurs lèvres se scindèrent douloureusement, elle chuchota, alanguie:

-En quel honneur?

Wooden la dévisagea et se recula jusqu'à se défaire de ses bras. Il se déroba et lança en se dirigeant vers la sortie.

-Une envie.
-Et tu t'en vas comme ça?

Dans les prunelles ocres de l'homme se berçait une lueur moqueuse qui réveillèrent les démons de Zalie. Elle s'attendit au pire.

-Mon envie est assouvie. Pourquoi resterais-je ici?

Quand il disparut de son champ de vision, Zalie se maudit d'être si faible. Mais tomber dans les filets de cet homme était si délicieusement cruel. Grisant et affligeant.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant