Chapitre 45

3K 457 73
                                    

Ennui. C'est ce qui définissait Sown en cet instant. Il était allongé au rebord de la scène de l'Opéra. L'immense salle vide proposait des centaines de sièges en velours, situés des balcons au parterre. Des allées entre deux longues rangées descendaient en pentes douce du haut de la salle jusqu'au pied de la scène. Les jambes dans le vide, le jeune homme observait le plafond peint. Des petits anges amusées et des nuages cotonneux habillaient le marbre froid, avançant une illusion de profondeur. Fameuse perspective..

Ses cheveux blancs détachés traînaient sur le bois de la scène. Cette dernière, encadrée par deux grands rideaux grenats, était assez impressionnante. La bouche pulpeuse de Sown se tordait à coup de moues lippues et enfantines. Dans son souvenir, il avait subtilisé le cordon doré des rideaux pour s'en confectionner un ruban pour ses cheveux. Il les avait très long à cette époque, il avait alors 7 ans. Sa sœur Juyli s'était finalement moquée de lui, le traitant de fillette. L'ayant vécu comme une moquerie, il ne s'était plus laissé tenter par tout ce qui semblait féminin allant même jusqu'à couper ses mèches soyeuses et blanches. Sa nurse l'avait déploré à l'époque.

Il avait fallu attendre le départ de Juyli du Manoir pour qu'il puisse reprendre contact avec ses anciens attributs féminins, comme si le rempart qu'elle représentait avait cédé et laissé libre court à son imagination. Cela était mis à profit afin de duper son monde, de les troubler ou encore de les faire tourner en bourrique. Félinement, il se releva sur son séant et avant d'apercevoir un éclair blanc translucide passer devant la scène.

-Quiny, sors de ta cachette.

Le serpent avança une tête avant que le corps ne suive le mouvement. Rampant sur le parquet, il vint à la hauteur de Sown qui lui caressa le crâne du bout des doigts. Le jeune homme se pencha en avant et croisa les jambes, le dévisageant de près. Son serpent était beau. Il avait été son cadeau pour son seizième anniversaire. Depuis, c'était son ami.

-Tu t'es ennuyé sans moi?

Le serpent hocha la tête, les orbes brillants tels deux jades. D'une douceur infinie, il s'enroula entour du bras de Sown. Ce dernier releva le visage. L'écrasant silence le fit se sentir tout petit. Les places vides, horriblement seul. La salle était conçue pour accueillir un public conséquent, le temps de soirées où la troupe du Théâtre de la Nuit se produisait sur scène ou lorsque son père organisait des discours. Durant ces mondanités, il y avait du beau monde. Étant enfant, Sown adorait y participer, profitant de la négligence paternelle pour y faire les quatre-cent coups. L'attention maternelle, elle, lui était inconnue. Il aurait peut être eu le temps de de l'apprécier s'il avait connu autre chose que le portrait figé de sa mère dans le bureau de son père. Elle était parti un peu trop tôt. Quiny remua et glissa le long de son échine, tout comme pour lui témoigner sa présence.

-Je sais que tu es là.

Du plat de la main, Sown caressa la peau translucide du serpent. Le mirage d'un rire enfantin le catapulta des années en arrière. Lui courant, hilare et essoufflé, tentant d'échapper à la poigne d'un homme à la chevelure argentée. Celui ci arborait un air paisible et amusé. Évide s'amusait souvent avec lui avant.
Plus maintenant. Parti. Tous étaient partis.

-Tu es resté toi. Dis Quiny...

Sown s'allongea doucement avant de reprendre en murmurant:

-...tu m'abandonneras pas hein?

Ses paupières papillonnèrent délicatement. Sa respiration se calma, prenant un doux rythme de croisière. Sa vision se voila, devint floue et les petits anges du plafond nuageux s'estompèrent pour disparaître. Dey vint entourer son maître, en réponse muette à sa question. Mais son sommeil l'avait déjà emporté vers de lointaines contrées oniriques..

C'est ainsi qu'on découvrit Sown. Endormis. Pour simple couverture un serpent translucide. C'était une servante qui osa l'éveiller, le secouant avec réserve. Elle avait eu pour ordre de récurer la salle de l'Opéra à son grand daim. Ses camarades s'était gentillement moquées d'elle. Il fallait dire que pour laver cette énorme pièce, il fallait abattre un travail de titan. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle aperçut une masse blanche de loin. En s'approchant, elle identifia l'endormi. Lorsqu'il s'éveilla, il s'étira tel un chat en manque de caresse.

Voulant bien faire, elle lui annonça soudainement la venue express de sa sœur, la chape de plomb qui avait disparue s'abattit de nouveau sur lui. Aussi lourde que désagréable.

-Est-elle restée?
-Non, jeune maître. Mais de ce que j'ai entendu, elle est de retour demain avec la troupe.

Le jeune homme hocha la tête et se leva. Qu'elle fasse ce qui l'entendait, il avait jeté  l'espoir aux orties depuis. Quiny sur son épaule, il traversa l'allée centrale bordée de siège et passa par la double porte majestueuse. Que du faste... Il ne rencontra personne dans les couloirs du manoir, outre les domestiques qui s'affairaient dans un entrain psychédélique. Cela ne l'étonna pas, Évide devait être auprès du Conseil à se remémorer de bons moments.

Et puis il y avait les deux danseuses qui allaient passer un mauvais quart d'heure. Un mauvais sourire s'étira sur ses lèvres pleines. Si seulement elles osaient l'impliquer publiquement dans leur magouilles, il s'en laverait les mains. Mais il le savait déjà, son père sera là pour le défendre. Il rencontra Haru dans le détour d'un couloir. Celui ci soupira à la vue du jeune homme aux cheveux blancs. À contrario, Sown se composa une mine réjouie.

-Haru! Comment tu v...
-Ne m'adresse pas la parole.
-Quelle méchanceté! Mon coeur saigne!

Et il se mit à faussement pleurnicher. Son attitude d'enfant terrible en agaçait plus d'un mais particulièrement Haru. D'ailleurs, d'exaspération, il serra les poings. Son carré encadrait son visage et rendaient ses traits crispés plus durs, sévères et matures pour son jeune âge. Tout le contraire de Sown en réalité.

Émotionnellement parlant, il était restée en pleine enfance.Un enfant dans un corps d'adulte.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant