Chapitre 20

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Au beau milieu de nulle part, un Cirque se mouvait.

En son sein, une troupe tout aussi étrange que mystérieuse.

Daphne résuma l'affaire in petto. Assise sur un coussin brodée , face à la cheminée, elle calculait la probabilité de ses chances d'évasion. Autant le savoir, elles étaient minces et se comptaient difficilement sur les doigts d'une main. À ses côtés, Angelo lisait un livre aux reliures usées par le temps. Délicatement, le mannequin tourna une page avant de remarquer que la jeune fille plissait imperceptiblement les yeux et tentait de déchiffrer ce qu'il tenait entre les mains. Il leva alors les yeux vers elle.

-Y a-t-il un soucis?
-Je me demandais ce que tu lisais.
-Un simple recueil de poésies, d'anciens mythes y sont contés.

Daphne hocha la tête, incrédule. Angelo se plaisait à divulguer les informations au compte goutte et il n'était pas dans la nature de la jeune fille d'être intrusive. Tandis qu'il lisait silencieusement, elle se permit de jeter un coup d'oeil discret par dessus son épaule. De sublimes illustrations ornaient les pages et les calligraphies s'entrelaçaient voluptueusement. C'était un bien bel ouvrage. Angelo soupira avant de murmurer:

-Écoute ces vers,
Les yeux vers les horizons déchaînés, des vents
Parée de lune, La Merinei rayonne
Chantant cette mélodie au firmament
Attend l'infortunée proie qu'elle affectionne

Crépitant et brûlant, le feu léchait le bois dans l'âtre. Angelo s'empara du tisonnier et remua les bûches sèches, faisant ondoyer le feu en de chaleureuses vagues dévorantes.

-Tu ne dis rien, lui dit-il,rompant le silence. Qu'en penses-tu?
-C'est mystérieux.
-N'est ce pas?

Il referma l'ouvrage volumineux et caressa la crête du paon à ses côtés. Allongé sur un pouf aux motifs orientaux, ce dernier se tenait tel un pacha, les couleurs de ses plumes lui conférant une grâce incontestée. L'animal dardait son regard perçant vers Daphne.

-Pour ma part, je trouve ces vers particulièrement mélancoliques, reprit-il. Korell n'a de cesse de dire que cela est dû au chant de La Merinei.
-Je pense que c'est plutôt dû à sa solitude.

Sous le regard attentif du mannequin, elle pointa du doigt l'âtre.

-La solitude mène à la mélancolie. Pourquoi crois-tu donc que ces flammes dévorent les bûches?
-Se pourrait-il qu'elles se sentent seules?
-Un feu esseulé s'éteindrait de lui même, tout comme La Merinei qui attend un temps révolu.

Un froissement de plumes, une nouvelle caresse et une curieuse question murmurée:

-Et toi Daphne, attends-tu les clés du temps passé ?

Cette dernière leva un regard admiratif sur les motifs subtils du plumage et répondit sans ambages :

-Si tu souhaites que je réponde à une question précise, il faudrait que tu évites les questions sibyllines . Cela fonctionne dans les deux sens.
-Mais je n'ai aucune question à te poser.

Et il sourit, les yeux pétillants de malice. La jeune fille comprit rapidement qu'elle n'aurait pas davantage de renseignements, le voile sombre et opaque qui reposait sur le cirque n'était pas prêt de se lever. La troupe se plaisait à le garder baissé.

-Moi, j'en ai. Pourquoi suis-je ici? Pourquoi ne puis-je pas rentrer chez moi ?
-Il ne t'est pas interdit de t'en aller, il te suffit juste de retrouver ton chemin.
-À travers un champs de roses? Je retrouverai mon chemin pour sûr! Railla-t-elle.
-Alors prends garde de ne pas t'y perdre, lui répondit-il sur le même ton.

Il se dévisagèrent un long moment avant que Daphne ne capitule et se renfrogne. Au final, il n'avait répondu qu'à sa dernière question, comme elle s'y était attendue. Cela ne l'étonnait pas de la part du mannequin. Elle aurait tellement voulu en connaître plus sur ce cirque et ses coulisses. Rien de plus frustrant que de se voir privé de sucreries devant la vitrine d'une confiserie.

Une voix douce provint de la porte entrebâillée:

-Il suffirait que tu patientes, tout vient à point à qui sait attendre.

Korell avança vers eux et rejoignit les bras d'Angelo. Ce dernier la serra avec une émotion qui se passait de mot. Dégageant ses longs cheveux roux, elle posa tendrement une main sur la nuque de son amant ; ses yeux d'un bleu limpide  scintillaient à la lueur des flammes et ses tâches de rousseur constellaient son joli minois. Si Korell avait eu l'occasion d'apercevoir Daphne auparavant, elle n'avait pas eu le loisir de l'observer d'aussi près. Comme l'avait dit Casper, elle n'avait rien de la beauté que décrivait Owl. Elle frôla délicatement la joue de son compagnon avant de se tourner vers elle.

-Sais-tu que tu n'as pas encore été admise au sein de la troupe? Tu brûles les étapes de manière considérable.
-Je veux juste rentrer auprès des miens.
-Angelo te l'a bien dit, il ne t'est pas interdit de rentrer chez toi. Libre à toi de t'en aller quand bon te semblera.
-Et où sommes nous?

Les deux amoureux se consultèrent du regard, légèrement perplexes:

-Aucune idée, avoua-t-elle.
-Je n'en sais pas plus, renchérit Angelo.

Daphne soupira, elle n'allait pas rentrer chez elle de sitôt ! Son regard fut de nouveau attiré par les flammes crépitantes. Le paon s'agitait doucement et tandis qu'Angelo maintenait son étreinte sur sa bien-aimée, cette dernière déclara:

-Tu manques cruellement de volonté.

L'étudiante détacha son regard du spectacle ardent. Korell leva un sourcil désapprobateur.

-Nous t'avions dit que tu pouvais partir librement.
-Quelle ironie, d'autant plus que vous n'avez aucune idée du lieu où nous sommes, rétorqua Daphne, acide. Je peux être à des kilomètres de chez moi!
-Il n'est pas nécessaire d'en faire tout un drame !
-Peut être qu'au final tu ne souhaites pas réellement t'en aller, intervint Angelo sur un ton goguenard. Tes raisons ne sont pas très convaincantes.

Daphne fronça les sourcils. Allons bon, s'étaient-ils tous les deux ligués contre elle? Elle se leva donc sous l'attention de ces amants provocateurs, il était temps que cesse cette mascarade ! Une fois la main sur la poignée, Angelo lui dit, taquin:

-J'espère que tu as un bon sens de l'orientation, rares sont les cartes et les plans par ici.

Daphne jura l'avoir entendu rire lorsqu'elle referma la porte et se trouva une nouvelle fois dans  cet interminable couloir. Décidément, il était force de constater qu'elle finirait par en connaître tous les détours. Qu'elle le veuille ou non...

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant