Chapitre 14

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Avec la légèreté d'un papillon, la petite fille était descendu de la corde raide. Icare suspendit les dernières notes dans le silence du chapiteau, les paupières closes. Son éternelle cape ivoire trônait sur son dos et se mouva lorsque d'un claquement de doigt, il fit disparaître la petite funambule. Un splendide sourire aux lèvres, il se plia en une révérence et la foule se pâma aussitôt. Sous la tendre lumière des projecteurs, il fallait avouer que ce jeune homme possédait un charme certain. D'une main, il fit apparaitre une petite bourse enrubannée. Alors qu'il en extrayait de la poudre scintillante, Érika murmura, amusée:

-Un vrai cupidon...

Daphne eût à peine le temps de comprendre la remarque de son amie qu'Icare répandit la poudre sur le public en soufflant dessus délicatement. La poussière dorée se répandit en nuées et instantanément les retombées scintillantes endormirent les spectateurs émerveillés. Seule la jeune femme avait gardé connaissance. Affolée, cette dernière tentait d'éveiller sa colocataire qui se laissait happée par les bras de Morphée. Que se passait-il donc? Le scintillement de la poudre sur scène l'interpella et elle dévisagea l'illusionniste. Icare rangea la bourse et le petit ruban pour s'approcher d'elle. Il l'observa, inclina la tête et dit :

-Nous nous rencontrons de nouveau.

La jeune fille s'assura que tout les spectateurs dormaient réellement et sans surprise, le silence en attestait. Alors, elle se tourna de nouveau vers l'homme qui attendait une réponse de sa part. Ses cheveux étaient toujours aussi blonds et son regard tout aussi mélancolique qu'auparavant. Il se pencha vers elle :

-Nous savions tous que tu serais parmi nous ce soir. Veuille pardonner à Korell. Elle aime les plaisanteries...

Korell ? Était-ce la danseuse qui, par un tour de passe-passe, l'avait envoyé sur scène? Ainsi cette artiste rousse se nommait ainsi. Quel nom étrange. Mais qu'importe son nom, elle ne savait pas ce qui allait se passer à présent, le spectacle clôturé. La fois dernière, on l'avait amené à Évide et au reste de la troupe dans une pièce suffocante. Mais en jetant un coup d'oeil à sa colocataire, elle hésita à assouvir sa curiosité. Icare avait beau paraître doux, cela ne l'empêchait pas de se tenir alerte. Pourtant, elle avait bien du mal à croire qu'il lui veuille du mal. En effet, il irradiait de lumière, ressemblant à un de ces astres dans le ciel, inaccessible. Toutefois, lorsqu'il lui saisit la main, Daphne ressentit une tristesse soudaine et une peine lui serra le coeur. Faisait-elle écho à la lueur des yeux d'Icare? Un lien venait de se créer, elle en était certaine.

-Si je ne m'abuse, tu n'es pas une femme très bavarde, lui dit-il d'un ton badin.
-En effet, tu es observateur.
-Tu l'es bien davantage me semble-t-il..

Le sourire qu'il lui adressa l'apaisa mais cette main sur la sienne lui pesait. Il possédait cet halo de sérénité et cette sombre mélancolie, des sentiments contradictoires.

-Daphne, me fais-tu confiance? Lui demanda-t-il soudainement.
-Je ne sais pas, avoua-t-elle en le scrutant.

D'un rapide coup d'oeil, il sonda ses émotions. Il dut y lire un indice car il ressortit à nouveau la bourse et défit le ruban. Avant qu'elle ne puisse réagir, il souffla une pincée de poudre dans sa direction. Daphne papillonna des yeux, les grains brillants de milles feux lorsqu'ils s'accrochèrent à ses cils.

-Beaux rêves, très chère, lui chuchota-t-on.

La pression de la main avait disparu. Le chapiteau également. Soulevant une paupière, elle eût un pressentiment de déjà vu. Assise au beau milieu d'une plaine plate comme un jour sans pain, elle ressentit aussitôt un courant d'air frais. Au loin, elle entendit les roulements d'une petite rivière où se déversaient de l'eau claire. Les gazouillements des oiseaux berçaient les oreilles de la jeune fille, une mélodie rassurante. Des herbes folles foisonnantes ainsi que des fleurs colorées se prélassaient sous les rayons du soleil et l'air embaumait d'une délicate senteur florale. Daphne leva la tête et suivit le courant de l'eau des yeux. Un flocon qui vient briser l'onde, puis un second. Dès le troisième, elle comprit qu'il neigeait. Elle sentit la soudaine morsure du froid dans sa chair. Petit à petit, les arbres estivaux se glaçaient sous la chute de la température. Dans le ciel brumeux, les oiseaux s'envolaient loin et l'eau du ruisseau gelait. Le bel endroit avait perdu ses vives couleurs et ne proposait qu'un tapis blanc à perte de vue. La panique s'empara d'elle lorsqu'elle toucha l'écharpe qu'elle avait au cou. Elle était rouge et douce. Daphne connaissait la suite, son rêve se répétait à nouveau. Un homme rassurant viendrait l'abriter de la neige à l'aide de son manteau. Grelottant de plus en plus, ses lèvres bleuissaient à vue d'œil et elle en vint à espérer que son supplice s'achève rapidement. Mais personne ne vint. Ce rêve terriblement réel prenait une tournure qu'elle n'avait pas prémédité. L'écharpe s'envolait au gré du vent glacial mais elle la rattrapa de justesse pour s'en emmitoufler. Cela lui serait d'aucun secours mais il lui permettait de tenir le coup encore un instant. Le froid qui l'engourdissait peu à peu était insoutenable.

-Alors? On se les gèle?

Dans un faible mouvement , la jeune fille aperçut Casper voler au dessus de sa tête. Sur la neige épaisse, le volatile se posa précautionneusement. Il ne paraissait pas enchantée de la voir.

-Ce n'est pas le moment de s'amuser, ni de se transformer en bonhomme de neige.
-C'est vrai...que j'ai l'air de m'éclater, articula-t-elle difficilement.
- Oui, j'ai toujours su que tu étais une gamine!
-Et si... tu pouvais m'aider? Je t'en se..serais reconnaissante.
-Qu'est-ce que j'y gagne, moi?

Faiblissant, Daphne ferma les yeux. Cet oiseau de malheur ne pouvait-il simplement pas lui dire comment sortir de là? Où était son sauveur pour mettre fin à ce clavaire? Mais Casper ne semblait pas s'inquiéter outre mesure de l'état de la jeune femme car il continuait à babiller:

-Je n'aime pas qu'on me prenne pour un pigeon, c'est une espèce qui se fait tout le temps avoir. Je ne suis pas crédule et naïf! Il faut toujours regarder ses intérêts, tu n'es pas d'accord?
-Pas..l..le...mo..ment! grogna-t-elle.
-Je pensais que tu brillerais par ton intelligence. Apparemment pas.
-Casper!

Le rugissement de Daphne le surprit car il ferma son bec. Mais ce fût les dernière forces qu'elle possédait car elle rendit aussitôt les armes. Pourtant, en contre jour, il lui semblait apercevoir une silhouette longiligne se pencher vers elle et murmurer son prénom.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant