Chapitre 55

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Le doux ronronnement du poêle offrait un réconfort à Noy et Yon. Tous deux appréciaient cet instant confortable, conscients qu'il s'agissait certainement du calme avant la tempête.  Au sous-sol du manoir, les cuisines étaient un lieu paisible rythmé par les gargouillis de la cafetière et adouci du parfum sucré de la cannelle. Les  jumeaux se laissaient aller au gré des allées et venues des domestiques affables qui s'affairaient autour des convives, savourant en silence les boissons chaudes servies avec déférence. Assis sur une banquette près de la source de chaleur, les garçons s'imprégnaient de la douceur du lieu. L'accueil y était chaleureux et cela avait le don d'embaumer les coeurs.

Haru fit sa discrète apparition, brisant sans le savoir cette harmonie entre frères. Son entrée fut saluée par tout le personnel de cuisine qui s'inclina au passage de l'intendant. Le jeune garçon balaya du regard la salle principale et ses yeux se posèrent sur ce qu'il cherchait. Les jumeaux le virent donc s'avancer vers eux, la démarche fluide et le visage impassible. Ils se consultèrent rapidement.

-Qu'est-ce qu'il nous veut à ton avis? Dit Yon.
-Inutile de chercher, il va nous le dire.
-Sa mine ne présage rien de bon, ça me perturbe..
-L'as-tu déjà vu avec une autre expression faciale?
-Non.
-Alors ne sois pas étonné.

Le jeune messager vint se poster à leur hauteur. Yon sentit un malaise face à Haru, ce sentiment, il ne se l'expliquait pas car tous deux avaient à peu près le même âge. Ce garçon devait sans doute posséder une âme millénaire en son sein pour afficher une telle assurance.

-Évide vous réclame, il organise une réunion avec les membres de sa troupe. Je suis tenu de vous guider jusqu'à lui.
-On connait la maison, c'est inutile, protesta Noy.
-Je ne fais que mon devoir. Veuillez me suivre.

Les frères n'en dire pas davantage. Il quittèrent à contre coeur le cocon rassurant des cuisines pour les couloirs interminables et glacés du manoir. Le quartier des domestiques était à présent derrière eux, pourtant ils continuaient à en croiser. Certains s'adonnaient à un ménage intensif, décuplant d'effort au passage d'Haru. La crainte qu'il inspirait était invisible mais palpable à quiconque se trouvait à ses côtés. Haru s'arrêta devant une porte, toqua trois fois et d'un geste sûr, ouvrit sans attendre de réponse. C'était dans une pièce étroite au plafond bas que la troupe du Cirque Mystique s'était réuni. Tous étaient déjà là, Évide ne prit pas la peine de regarder les nouveaux-venus, il dit simplement:          

-Nous sommes au complet.

Haru prit aussitôt congé et referma la porte derrière lui. Les frères prirent place discrètement. Tous avaient des mines d'enterrement ; l'atmosphère était si pesante qu'on  croirait assister à l'oraison funèbre de la troupe. La chape de plomb fut brisée par Évide.

-Le Conseil ne tardera pas à se réunir pour statuer sur le sort que nous réservons à Icare. Nous attendons seulement l'arrivée de trois chefs d'extension. Korell est toujours plongée dans un coma, nous ne saurons donc pas ce qu'il s'est réellement passé. Mais cela ne retardera en aucun cas la réunion du Conseil.
-Ce qui s'est passé en réalité ? Icare nous a trahi! S'exclama Angelo.
-Tu n'as pas le droit de parler de lui ainsi, sans connaitre réellement les faits, rétorqua calmement Daphne.
-S'il était innocent, il serait resté parmi nous...
-C'est vrai ce que dit Yon, murmura Aaricia.

Celui-ci lui fut reconnaissant de son soutien. Noy s'apprêtait à parler mais il fut interrompu par l'indignation de la peintre.

-Mais... Vous le condamnez avant de le juger!
-Il a blessé ma soeur Daphne! S'offusqua Owl.
-Tout ce que vous dites n'avance à rien, cela ne réanimera pas Korell et ne nous consolera pas d'avoir perdu un ami, trancha Wooden.

Un instant, la troupe se tut pour méditer les paroles du secrétaire.

-Aussi, je vous ai convoqués pour faire le point sur le Cirque, reprit Évide. Notre extension est en sursis tant qu'Icare est introuvable.
-Mais c'est absurde...Personne ne sait où il se trouve ?Dit vivement Daphne.

Océlia persifla, de méchante humeur:

-C'est ce que nous aimerions tous savoir!
-Pourquoi es-tu aussi cynique? C'était juste une question.
-Je ne suis pas cynique, je suis inquiète pour Icare.
-Inquiète pour lui, alors que ma soeur risque de mourir. Dit Owl d'une voix blanche.
-Wooden a raison, il faut savoir raison garder dans de telles circonstances, s'imposa Évide.

Le souvenir de Sana Gengis dans la bibliothèque du manoir lui revint en mémoire. Il avait fait preuve de sang froid face à la douleur d'une mère. Dieu merci Malacia avait su calmer son amie. Il reprit ses esprits quand il vit un serviteur s'introduire dans la salle de réunion. Tous les regards convergèrent vers cet intrus, certains membres de la troupe frustrés de ne pas avoir régler leurs comptes et d'autres soulagés de mettre un terme à cette conversation houleuse. Il s'inclina légèrement face à Évide et lui tendit un plateau d'argent sur lequel se trouvait une enveloppe. Celui-ci la décacheta et au terme de sa lecture offrit à l'assemblée un visage de marbre. Daphne d'ordinaire discrète, brûlait cette fois-ci de savoir ce que le billet contenait. Evide replia la lettre et sans commentaire la reposa sur le plateau, donnant ainsi au domestique le signal de se retirer.

-Je déclare la réunion close, conclut le dirigeant.

Bien que le contenu de la missive piquât la curiosité de tous, personne n'osa prendre la parole. Seul Wooden demanda:

-Juste une question. Où sont le cartomane et son amie?

Daphne sembla réaliser qu'en effet, ces deux-là manquaient à l'appel.

-Il est vrai qu'avec les récents événements, je n'ai pas eu le temps de m'en occuper. Je te remercie de bien vouloir le faire Wooden, délégua promptement Évide.

À l'évocation de ce couple, Owl se tourna soudainement vers la peintre qui le dévisageait, la mine inquiète. Une étrange sensation prit possession de leurs esprits car d'instinct, ils sentirent que quelque chose clochait.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant