Chapitre 51

3.5K 404 119
                                    

Naeve effleura le lierre qui poussait sur une partie de la façade de l'Opéra, tout autour de la fenêtre. Songeant à les tailler plus tard, elle huma délicatement l'air.

-Le tonnerre gronde. De l'orage approche.

Des nuages poivre et sel parsemaient le ciel bleu, un vent froid s'emparait d'Anthipolis. L'hiver reprenait ses droits sur les températures. Rimec, assis à son bureau, s'empara de la cire qui lui permettait de poser le sceau du conseil et la regarda s'égoutter lentement sur la face immaculée d'une feuille. D'un calme trompeur, il répéta:

-De l'orage approche, en effet..

Dans la bibliothèque, le silence était pesant. Ainsi les petits coups que l'on donna contre la porte résonnèrent avec insistance. Sans attendre de réponse, Sown s'infiltra dans la pièce sombre. Les sources de lumière se faisaient rares; seules la fenêtre ouverte donnant sur un ciel gris et une cheminée crépitante les éclairaient. Le jeune homme avança de quelques pas, le sourire aux lèvres. Cet endroit l'avait toujours intrigué de part ses broderies au murs et la quantité de livres aux belles reliures. Il en avait feuilletés jadis quelques-uns avec Juyli mais n'ayant pas l'âge de lire, il avait simplement observé la somptueuse calligraphie. La lyre posée sur une console, dans un coin, était aussi source de fascination, la musique qui s'en échappait était divine. En parlant de musique...

-Sana Gengis et Malacia Falengaï sont arrivées, père?

Rimec opina froidement du chef et reporta son attention sur la cire qui ne cessait de s'égoutter, se solidifiant au contact du papier en crin. Sown ravala sa mine réjouie lorsqu'Évide franchit le seuil de la bibliothèque; le regard sombre qu'il lui lança le fit soupirer. Si on ne pouvait plus s'amuser de la situation! Ce n'était pas de sa faute si ce musicien s'était enfui et il ne cracherait pas sur cet événement pour s'amuser un peu... Faisant fi de la mine d'outre-tombe de son père et de son ami, il demanda, triturant ses longues mèches blanches.

-Vous savez pourquoi Icare est parti?
-Ce ne sont pas tes affaires fils! Gronda Rimec.

Le garnement alla se poster près de sa tante qui  semblait songeuse. Il inclina légèrement la tête:

-Évide... Tu n'aurais pas une hypothèse à ce sujet?
-Ton père ne t'a-t-il pas dit que ce n'était pas tes affaires?
-Que vous êtes rabats-joies! Je ne fais qu'alimenter la discussion qui s'appauvrit cruellement ces derniers temps...
-Tu te mêles de ce qui ne te regarde pas, Sown, prévint dangereusement Évide.

Une folle lueur vacillait dans ses prunelles.
Cela tombait bien, la même dansait dans celles de Sown qui s'humecta instinctivement les lèvres.
Naeve posa la main sur la tête de son neveu et passa ses doigts dans sa chevelure comme pour le calmer. Elle lui murmura que tout allait revenir dans l'ordre, que tout irait mieux désormais. Le visage de Rimec dénotait le contraire.

-Oh ça me regarde bien plus que tu ne le crois... Je suis aussi peiné que toi, Icare était un si fidèle ami.

Prenant sur lui, Évide se détourna et s'approcha de la cheminée. Il était au bord de l'implosion. Sown plissa ses yeux brillants, l'excitation à son comble. Il allait le faire céder, il allait fissurer ce masque si maîtrisé et si impénétrable...
Rimec balaya ses plans d'un revers de main:

-Arrête-toi, fils.
-Je n'ai rien commencé!
-Laisse-le tranquille.
-Oui, épargne-lui tes caprices mon enfant, le somma doucement sa tante.

Le capricieux ne l'entendait pas de cette oreille. Son instinct était guidé par son objectif, faire ployer ce roc. Alors, il s'avança guilleret vers le directeur du Cirque qui n'avait pas l'intention de prolonger cette discussion. Et pourtant, Sown lui effleura l'épaule et lui murmura:

-Mon chou... Que pensera-t-on de toi? Un tel scandale n'éclabousse pas seulement le Cirque, ce sera toi seul l'unique responsable. Mon pauvre chéri... Dépossédé de tout pouvoir, de toute crédibilité, de toute.. légitimité.

Le feu crépitait violemment, faisant écho aux émotions d'Évide. Le grand adolescent lui caressa le cou du bout des doigts, le dévisageant avec attention.

-Mais moi, je t'aimerais toujours tu sais...

Évide respirait avec difficulté. Encore un peu, encore quelques mots... Sown s'en délecta.

-Tu pourras pleurer sur mon épaule, je te consolerai avec tendresse. Ce n'est pas de ta faute si tu n'étais pas de taille pour cette mission! Tu n'y pouvais ri...

La claque fusa. Elle fut d'une telle force que Sown en eut le souffle coupé. Il tomba à terre, la main sur la joue. Toutefois, le sourire qu'il arborait avant cela n'avait pas déserté son visage. Il releva la tête, Évide le dominait de toute sa hauteur et de toute sa fureur. Naeve décida de ne pas intervenir, renonçant à apaiser les tensions.

- Je t'avais dit qu'il n'était pas d'humeur pour tes enfantillages! Asséna Rimec.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant