Chapitre 58

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Le diable se loge dans les détails. Il s'agissait de la devise d'Haru qui ne cessait de le rappeler aux domestiques dont il avait la charge. De ce refrain, il en avait fait son quotidien. Ainsi, avec cette rigueur qui jurait avec son âge, il s'assurait que la trentaine de chambres libres demeuraient propres dans l'hypothèse qu'une troupe au complet ne s'installât à Anthipolis. Il fallait qu'il reste sur ses gardes car l'arrivée précipitée des dirigeants des extensions avait nécessité de l'organisation et un brin de diplomatie.

La réunion du conseil présidée par Rimec avait été d'une efficacité chirurgicale. Haru y avait assisté avec la discrétion d'une ombre. Fidèle à lui-même, le maître du conseil avait mené le débat avec une maîtrise qui lui était propre. À ses côtés, Évide était resté silencieux tel un anachorète. Non loin du directeur du cirque, se tenaient Malacia Falengaï et Sana Gengis . Les trois autres dirigeants les avaient également honorés de leur présence. Landry Smoth, le chef de l'Hôtel céleste, Nakshidil Hazir, celle du Bassin des Ottomanes et Morinawa San, directeur du verger des Hespérances avaient assisté à cette réunion d'urgence. Aux grands maux, les grands remèdes, ils avaient voté à main levée pour la sentence finale.

Icare sera traqué par les gardes puis amené mort ou vif pour être exécuté immédiatement si l'occasion se présentait. C'était tout du moins la volonté de Sana, soutenue par son amie Malacia. Toutefois, Landry et Morinawa choisirent de nuancer la sentence en annulant le décret de mise à mort, ils préféraient éviter tout ce qui avait attrait au lynchage. Quant à Nakshidil, elle opta pour la justice car elle défendait la présomption d'innocence, expliquant les vertus d'un procès équitable. Évide refusait de se prononcer mais il était évident qu'il s'abstenait pour pour une bonne raison. Rimec trancha. La mise à mort sera écartée et un procès se tiendra dans la salle du conseil. Encore fallait-il le trouver ce jeune illusionniste, dans l'espoir qu'il ne s'évapore par l'entremise de ses tours enchanteurs. Il avait été attribué à Juyli la lourde tâche de mener une enquête discrète. Haru soupira de lassitude.Cette affaire avait tout l'air d'être aussi complexe qu'inextricable...

-Excusez-moi ?

L'intendant se tourna vers son interlocutrice.

-Que puis-je faire pour vous aider? Lâcha-t-il à contre coeur.
-Pourriez-vous m'indiquer la sortie ?Je ne connais pas vraiment l'aile Ouest du manoir.
-Il vous suffit de prendre le couloir de droite puis de descendre les escaliers.

Daphne lui exprima aussitôt sa gratitude resserrant son châle instinctivement en passant à ses côtés. Haru la suivit du regard.

À travers les nuages duveteux, un croissant de lune se profilait, éclairant la bâtisse d'une lumière nouvelle. La tempête avait cessé, les vents assoupis. La fraîcheur du jardin dissuadait Owl de s'aventurer à l'extérieur et pourtant, il étouffait au sein de ce Manoir mortifère. Le hall faiblement éclairé avait cet attrait sinistre qu'il choisit d'ignorer lorsqu'il le traversa au pas de course, atteignant la porte d'entrée avec un empressement fébrile. Il s'aventura alors discrètement dans le silence de la nuit, appréhendant de poser ses pieds sur la terre humide et boueuse. Il songea piteusement à rester sur le perron maculé, vestige de la tempête furieuse. Il choisit de ne pas avancer et attendit ; minuit devait sûrement être passé. Il perçut une ombre tour d'abord, puis une silhouette se distingua dans la pénombre. Certainement une âme troublée et insomniaque.

-Tu es venue, dit-il simplement.

Daphne resserra à nouveau le châle autour de ses épaules graciles, elle ne semblait pas s'être reposée du sommeil du juste. Owl était trop délicat pour lui faire remarquer que ses cernes altéraient sa beauté.

-Tu ne parviens pas à te reposer Daphne?
-Je n'avais pas prévu de passer la nuit ici. Les lieux et les personnes qui y habitent ne me rassurent pas, avoua-t-elle.
-Je comprends. Moi aussi je suis inquiet.

Il se contenta de s'assoir sur l'une des marches du perron, invitant Daphne à faire de même.

-Je préférais être logée et nourrie autre part. La chambre mise à ma disposition me met mal à l'aise! Dit Daphne, la mine rembrunie.
-Pourquoi ?
-Elle est trop spacieuse... Je dois te paraitre capricieuse, murmura-t-elle.
-Pas toi Daphne, jamais. Mais quelle est la vraie raison de tes insomnies ?

La suspension du Cirque Mystique la rendait nerveuse et plus les heures passaient, plus la disparition d'Icare l'inquiétait davantage. Sa rencontre avec le maitre du conseil acheva de troubler son sommeil.

-J'aurai apprécié que Morphée me console et me prenne dans ses bras, soupira-t-elle.

Le regard d'Owl se détourna des haies taillées qui bordaient le long de l'allée principale et se posa délicatement sur la jeune femme.

-À défaut de Morphée, je te propose les miens, dit Owl.
-C'est joliment dit, sourit tendrement la jeune femme.

Owl lui saisit les mains avec la timidité d'un jeune homme, Il l'attira lentement à lui et avec la douceur d'une plume, il l'enlaça tendrement. Daphne sentit son cœur s'apaiser, elle goûtait avec délice à cet instant hors du temps.

-Daphne, Murmura alors Owl, te souviens-tu de notre première rencontre ?
-Oui, mais j'ai l'impression que cela fait si longtemps, des siècles peut-être...

La voix du messager se fit basse et sa poigne plus sûre. Il saisit délicatement le visage de Daphne, repoussa une mèche folle et posa avec ferveur un baiser sur le front.

-Moi, j'ai l'impression que c'était hier.

La jeune femme se laissa bercer par les paroles du messager. Tous deux avaient besoin de se rassurer dans cette nuit sans étoiles, leur corps pansaient leurs inquiétudes mutuelles et à venir.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant