Chapitre 40

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La porte coulissante se referma et enferma le silence de la cabine. Wooden se défit de sa veste repassée et la plia minutieusement. Il soupira pour combler le vide sonore et s'accouda plus confortablement. Il aurait bien voulu petit déjeuner lui aussi mais en tant que secrétaire, sa présence était plus qu'obligatoire. Ces fichues danseuses! Foutre le boxon au Cirque n'était pas la plus brillante des idées qu'elles avaient eu, si jamais elles possédaient une once d'intelligence. Et Sown qui s'était associé à leurs frasques de mauvais goût... S'il y avait bien un synonyme de soucis, il proposerait bien ce prénom à la sonorité quasi semblable. Et le brouillard qui ne se dissipait pas. Wooden pestait mentalement depuis maintenant le départ d'Owl et de Daphne. Il ferma les yeux et tenta de maîtriser sa tension qui montait en flèche.

-Tu devrais te calmer.

La voix basse d'Évide lui fit baisser sa jauge de frustration qui menaçait de craquer. Il s'accouda alors et posa confortablement son dos sur le dossier. Fermant les yeux, il expira. Rester assis était plus éreintant qu'il ne l'aurait imaginé et surtout lorsque la fatigue pointait le bout de son nez, il était rare de rester insensible au chant de Morphée. Le visage faisant face à la vitre, il souleva les paupières et dévisagea son reflet brouillé par la buée. De longs cheveux ébènes lui chatouillaient les épaules et encadrait son visage pâle. Vraiment, il avait un teint maladif quand il le comparait avec celui d'Évide. La comparaison de leur carnation de peau lui rappela momentanément sa rencontre avec lui, il avait 7 ans de cela. Il avait été autrefois un jeune homme chétif et timide, au visage blême; sans grande fortune ni pauvreté excessive, il vivait de petits boulot.

Sans cette nuit de printemps, il n'aurait jamais rencontré Évide. À l'époque, Wooden l'avait aperçut au détour d'une rue accompagné d'Owl et de Korell. Casper et Zalie avait en ce temps déjà rejoint la troupe. Il les avait tous suivis jusqu'à l'entrée d'un cabaret, captivé par l'aura glaciale de celui qui deviendrait son ami proche. Puis Owl et son regard atypique ainsi que Korell et sa grâce inimitable. Puis son regard était tombé sur Zalie et sa fascination avait décuplé. Il n'avait jamais cru au coup de foudre pourtant, il venait se transformer en véritable paratonnerre. Il n'avait donc plus hésité à entrer dans cet étrange établissement qui s'était avéré être le Cabaret de l'Ombre.

Fidèle à son boulot du soir, il s'était déclaré livreur d'un colis afin d'accéder à l'entrée. Il se souvint ne pas avoir éprouvé de difficultés à suivre le groupe mais il s'était trahis à l'instant où son uniforme de livreur avait fait mouche au sein du feutrée décors du cabaret. On l'avait emmené au bureau de Malacia Falengaï qui s'entretenait avec Évide et pour la première fois, Wooden avait rencontré son regard.

-À quoi penses-tu?

Les réminiscences de Wooden se dissipèrent. Il cligna des yeux et se tourna vers son interlocuteur.

-À notre première rencontre.

Évide feuilleta distraitement le journal et lâcha négligemment:

-Tu es bien nostalgique.

Le secrétaire haussa les épaules, il l'était certainement. Évide le toisa, dissimulé d'être les pages de papier. Lui également se souvenait parfaitement du bureau où ils eurent leur première altercation.  Dans un uniforme difforme, Wooden s'était infiltré au Cabaret de l'Ombre une nuit de printemps, certainement guidé par sa curiosité. Malacia avait eut alors une idée ingénieuse, celle d'intégrer cet agneau qu'était alors Wooden dans sa troupe puisqu'il était à la recherche d'un secrétaire. Cette femme de poigne ne laissait pas sa chance au hasard et anticipait chaque décision qu'elle prenait d'une froide raison. Comme lui en réalité.

Mais à présent, sa descendance n'était pas à sa hauteur et Évide estimait Tiffen d'un mépris sans nom. Cette Falengaï n'avait aucune considération du respect des aînés et du règlement contrairement à sa mère. Il en vint à se demander comment Owl avait pu s'acoquiner avec une telle sotte. Toujours plongé dans un sommeil abyssal, Sown changea de position et s'accrocha tendrement à la taille d'Évide. Ce dernier écarta les mèches de cheveux qui risquerait de le gêner. Wooden grommela:

-Tu es attentionné avec lui.
-J'éprouve en effet de la tendresse pour ce petit.

Le sécrétait ricana.

-Ce « petit »? Je n'aurai certainement pas usé de ce terme pour le décrire!
-Et qu'aurais-tu choisi?
-Un terme n'est pas suffisant en ce qui me concerne.

Alors qu'Évide posait le journal à ses côtés, Wooden croisa les bras de dépit.

-Je vois, tu ne l'apprécies donc vraiment pas, reprit le directeur.
-Il n'a jamais rien fait pour que ce soit le contraire, répondit instantanément son ami.
-Surement. C'est un enfant qui ne s'attire que des ennuis, n'est ce pas? Un enfant qui appelle à l'aide en quelque sorte.

Wooden ricana une seconde fois, amer:

-J'ignorais que tu étais un expert en psychologie. Dans ce cas, tu devrais savoir ce que cet enfant éprouve à ton égard.
-Tu vas trop loin.

Le tranchant de la voix d'Évide étouffa toute velléité de répartie de la part du secrétaire. Il ravala alors son dépit et en vint à implorer la justice divine. Sown était un capricieux à qui tout souriait, il était temps pour lui d'avoir le retour de la médaille. Le directeur reprit, plus doucement:

-Inutile de lui souhaiter le pire, Wooden.

Le secrétaire déglutit, percé à jour.

-Il ne sera pas puni par le conseil et tu le sais.

En effet, Wooden le savait. Sown était le fils de Rimec, le maître du conseil et sa punition se soldera d'un simple rappel à l'ordre contrairement aux deux femmes qui les accompagnaient. Tiffen et Ysle n'avaient pas anticipé les conséquences de leur actes mais autant la première était une descente directe des Falengaï, autant la seconde n'était personne. Ysle serait la plus malchanceuse. Envieux, le secrétaire toisa le jeune homme à la chevelure blanche; il n'y avait pas de justice en ce monde.

La porte s'ouvrit avec fracas. Les trois dormeurs sursautèrent, le cœur battant à la chamade. Wooden et Évide se contentèrent de lever la tête vers les nouveaux arrivants car ils étaient quatre. Owl, d'humeur hostile, broyait la poignée rutilante et Daphne jetait d'étrange regard par dessus son épaule.

-La prochaine fois, on prendra l'hôtel, grogna Sown, papillonnant des yeux. L'intimité est un mot que tout le monde ignore, à ce je vois.

Mais les esprits étaient curieux et dirigés vers le couple étrangement assorti. L'homme se racla la gorge et salua d'un geste de la tête l'assemblé de sept personne.

-À qui dois-je faire demande? Demanda-t-il d'une voix mélodieuse.
-À votre avis? Répondit le roux de mauvaise foi.

Tous les regards convergèrent vers Évide et l'homme sut à quoi s'en tenir. Il s'avança alors, abandonnant la blonde qui restait en retrait, silencieuse.

-Enchanté, nous vous rencontrons enfin! Je suis Riu, manipulateur de carte et voici mon assistante Thaïs. Nous étions à votre recherche car nous souhaiterions intégrer votre cirque.

Évide haussa un sourcil, singulière entrée en matière. Tiffen et Ysle échangèrent un regard d'incompréhension alors que Sown assistait à la scène avec délice, les doigts caressant les genoux de l'homme sur lequel il avait dormi. Wooden était sceptique face à cette demande saugrenue, alors la décision subite de son amie le surprit plus encore:

- Très bien, votre période d'essai commence maintenant.

Le sourire satisfait des deux nouveaux agacèrent Owl au plus haut point et Daphne en vint à se demander les raisons derrière ce choix . Mais elle avait fini par saisir qu'Évide ne faisait rien pas hasard, il suffisait de laisser au temps lui fournir une réponse.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant