Chapitre 23

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Daphne inspecta les alentours. Rien n'avait changé depuis son dernier passage, de l'emplacement des fauteuils aux bougies qui brûlaient avidement. Évide se redressa et de son bureau, classa le dossier qu'il examinait d'un geste précautionneux. Il dit:

-Tu dois être intriguée.
-En effet, acquiesça-t-elle.

Il ne croyait pas si bien dire, des questions se bousculaient au portillon sans que quiconque viennent lui apporter de réponses satisfaisantes. La pièce était saturée par les volutes du cigare.

-Prends place.

Le plancher craqua sous ses pas et méfiante, elle s'installa sur le sombre siège en chêne. Les accoudoirs s'octroyaient une petite folie puisqu'ils étaient d'une teinte différente; identique à celle de la lampe de bureau, chaude et ambrée. Cette dernière, tarabiscotée et vieillote, penchait vers un Évide scrutateur.

-Tu me parais bien sur tes gardes Daphne Merin.
-Comment ne pas l'être? Répondit-elle avec franchise.

Après une longue expiration de fumée, Évide demanda:

-Et as-tu eu une raison de l'être?
-À l'instant même. Noy m'avait proposé de me montrer la sortie de ce dédale. C'était un mensonge.
-Or il se trouve qu'il répondait à ma requête. Je n'ai pas eu le loisir de discuter davantage en ta compagnie, il serait dommage que tu t'en ailles avant.
-Cela explique donc ma méfiance, conclut-elle.

Quelqu'un avait rapporté son départ inopiné à Évide, ses soupçons n'étaient donc pas infondés. Elle ignorait de qui il pouvait précisément s'agir mais elle avait quelques idées. Évide hocha la tête.

-Je comprends, ajouta-t-il du bout des lèvres.

Daphne en doutait fortement. Elle songeait davantage à une compréhension superficielle pour l'inciter à se laisser aller à la confidence. Évide reprit d'une voix égale:

-Je ne t'obligerai pas à rester, tu pourras partir si cela te chante, jeune fille. Choix déplorable toutefois.

-Détrompez-moi mais... vous ne me paraissez pas être un homme laxiste.

Daphne était persuadée qu'il n'était pas si généreux pour la laisser s'en aller, il attendait sûrement une contrepartie. Alors, un sourire fauve se dévoila à la lumière de la lampe. Évide déposa son cigare dans un cendrier sculpté et croisa délicatement les bras.

-Ma foi, tu m'évites les palabres inutiles. J'apprécie.

Et tandis qu'il se saisissait d'une feuille, la fenêtre ouverte laissa passer un vent frais. Les rideaux voletèrent au gré de la brise, Daphne frissonna. Elle ne sut pour quelle raison.

-Je te propose un marché, annonça Évide d'une voix suave. Je t'intronise au sein du cirque et tu prospéreras en tant qu'artiste auprès de la troupe.

Daphne en avait cure d'être reconnu en tant qu'artiste. Son départ du Cirque était motivé par  le fait de retrouver Erika, celle qui remplaçait sa famille. Elle ne pouvait se résoudre à l'abandonner malgré qu'elle soit attirée par le mystère sans fin de ce lieu. Évide s'assit plus confortablement dans son fauteuil, croisant les jambes avec élégance. Il émanait de sa personne une aura palpable, dantesque et comme pour répondre à ses inquiétudes intérieures, il ajouta en l'épiant:

-Votre amie... N'est-elle pas à la recherche d'un emploi dernièrement?

Daphne sentit la conversation glisser dangereusement. Elle se demanda quelles informations pouvait posséder Évide pour lui proposer un tel marché. Il était certain qu'il n'était pas dupe et qu'il s'était déjà penché sur la question. Mais jusqu'à quel point?

-Je ne sais pas.

Le directeur s'amusa de cette nonchalance feinte car il fallait être naïf pour ne pas percevoir la lueur de panique briller dans le regard de Daphne.

-Trouver un travail n'est pas aisé de nos jours. Davantage lorsqu'il est question de métier de la scène, n'est ce pas?

La jeune fille resta sur ses gardes. Erika avait pratiqué le théâtre au point qu'elle en avait consacré ses études. Ainsi, il savait. Et devait en savoir bien davantage... Elle préféra aller droit au but puisqu'il ne s'embarrassait pas de causeries vaines.

-Est-ce une menace?
-Ai-je prononcé un tel mot?

Elle ne répondit pas.

-Dans ce cas... reprit-il.

Il trempa une plume dans un encrier de porcelaine et la lui tendit prestement. Mais Daphne le sonda du regard et insista:

-Vous aviez l'air menaçant.
-Voyons, votre méfiance est sans limite, susurra Évide. Mais force est de constater que vous avez le sens de la formule.

Daphne saisit la feuille et remarqua l'apposition d'un sceau carmin représentant une couronne de laurier. Elle prit alors connaissance du document sous le regard affuté d'Évide.

-Votre discrétion me rend particulièrement admiratif.

Daphne ne comprit pas immédiatement. Ce ne fut que lorsqu'une voix s'éleva derrière elle que la jeune femme se retourna et dévisagea le nouveau venu qui s'était introduit par la fenêtre.

-Bonsoir Évide.
-Bonsoir Haru.

Le dénommé Haru était un jeune garçon d'une douzaine d'années dont les traits juvéniles  n'étaient plus, durcis par l'absence d'innocence. Sa posture lui conférait une autorité naturelle malgré son jeune âge. Près de lui, un puma au poil ombré posait son sombre regard sur la scène.

-Qui est ce?

Haru désigna du menton celle qu'il jugeait comme inconnue et attendait la réponse en extirpant de sa tunique une enveloppe brune. Évide sourit et saisit prestement la missive.

-Il s'agit de Daphne Merin.

Sans grand interêt à son égard, le jeune garçon l'étudia sommairement. Les mirettes imprimés sur son kimono semblaient également la scruter par dizaine. Haru ajouta alors:

-Tu connais le protocole.

-Bien entendu, acquiesça le directeur du Cirque. Et il sera tenu.

Enfourchant son puma, le jeune garçon lança avec flegme:

-Dans ce cas, je vais prendre congé, Rimec sera prévenu. Nous attendrons votre présence avec impatience.

Et sans un bruit, l'animal s'élança à travers la fenêtre faisant à peine ondoyer les rideaux. Ce ne fut que lorsque le silence s'inscrivit dans la durée que Daphne prit pleinement conscience de la venue hâtive du garçon. Elle se remémora ses dernières paroles. Évide avait à peine entamé la lecture de la lettre qu'elle décida de reprendre la parole:

-Comment ça, ils attendent notre présence? Et qui? Et de quel protocole il s'agit?

La voix d'Évide se teinta de velours et faisant osciller sa plume tel un pendule, répondit:

-Cela fait beaucoup de questions, mademoiselle Merin. Mais peut-être trouverais-je le temps de vous répondre à la condition que vous signez d'abord.

-Vous appelez ça une solution?
-Un échange de bon procédé plutôt.
-C'est du chantage , l'accusa-t-elle.
-Certainement mais à présent, cela n'est plus seulement de notre ressort. Les ordres viennent d'en-haut.

Daphne peinait à saisir l'ampleur de la venue d'Haru mais cela suffit pour qu'elle s'inquiète davantage. Évide la guettait de l'autre côté du bureau et lui proposa à nouveau la plume et le papier.

-Alors... Signerez-vous?

Et il sourit. Un sourire qui n'atteignit jamais ses yeux.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant