Chapitre 19

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Voyant Océlia approcher à grand pas, Angelo leva un sourcil narquois. Icare soupira et rangea son instrument et l'archer qui se matérialisèrent pour disparaître. Le jeune homme fourragea nerveusement ses cheveux, les reflets de la lune nuançant son blond. Il ferma les yeux d'exaspération tandis qu'Océlia triturait ses doigts, les yeux emplis d'une jalousie non dissimulée. Daphne songeait à la relation qui reliait ces deux là, lorsque le mannequin de cire lui murmura  à l'oreille:

-Et si nous y allions?

Daphne acquiesça et s'empara prestement de la main tendue. Pas question pour elle de rester dans les parages d'Océlia, elle préférait ne pas jouer avec le feu. Ils dépassèrent alors les deux artistes qui se dévisageaient, imperturbables. L'un affichait toutefois une mine excédée tandis que l'autre le toisait d'un regard dévoré par la jalousie. Daphne ne songea pas à demander ce qui se tramait entre eux deux, elle serait bien impolie de faire la moindre réflexion. Mais alors qu'il sortait de la salle de danse, elle distingua des éclats de voix féminins. Océlia haussait le ton.

-Une querelle amoureuse? Demanda-t-elle alors, la curiosité étant plus forte.

Dans l'obscurité du couloir, Angelo secoua nonchalamment la tête. Et fouillant dans la poche de son pantalon, il confia à mi-voix:

-Il faudrait que les sentiments soit réciproques pour que ce soit une querelle amoureuse.
-Mais pourquoi s'acharne-t-elle ainsi? Insista-t-elle.
-La passion est une raison. Le désespoir en est une autre.

Le mannequin se munit d'une allumette et lorsqu'elle s'enflamma, une douce odeur de souffre vint titiller son odorat. La flamme brûlante servit à allumer les candélabres des murs. Un à un, Angelo amena la lumière.

-Y aura-t-il d'autres situations comme celle-ci?
-Comme celle-ci? Demanda-t-il, perplexe.

Tandis qu'il se tournait vers elle, Daphne continua:

-Oui, ce genre de querelle. Que je ne m'étonne plus.

Elle ne souhaitais pas être le bouc émissaire d'Océlia, il valait mieux prendre ses précautions dès le départ. Angelo souffla sur son allumette et il lança une oeillade amusée. Au milieu du couloir, il croisa les bras et demanda:

-Tu envisages donc de rester.

Daphne fronça les sourcils.

-Je n'ai jamais dit ça.
-Ta question le laissait supposer, lui répondit-il simplement.

En effet, elle se rendit compte de la porté de ses mots. Était-ce un lapsus? La jeune fille songea un instant à renchérir mais à la vue du sourire d'Angelo, elle renonça. Quoiqu'elle dise, il ne la croirait pas. Préférant reporter son attention ailleurs, sur les broderies muraux notamment, elle se laissa aller à la rêverie. Le créateur de ces merveilles avait le soucis du détail, c'était indéniablement cousu main et méticuleux. Et puis les teintes se nuançaient  au gré des ombres et lumière des flammes des candélabres. D'un point de vue esthétique, cela forçait au respect et Daphne songea un instant à demander l'identité de l'artiste. Mais elle n'en eût pas le temps car une furie sortait de la salle de danse. À présent, Océlia la pointait du doigt avec rage non dissimulée. Mais avant qu'elle ne puisse l'atteindre, Angelo s'interposa.

-Ôte toi de mon chemin!
-Pas de querelle ici, tu es censée être au courant, refusa-t-il.
-Ne te mêle pas de mes affaires Angelo, conseil d'amie, persiffla-t-elle en guise de réponse.
-Sache que je ne suis pas ton ami Océlia. Respecte simplement les règles et tout ira pour le mieux.
-C'est ça! Joue le médiateur alors que ça ne te regarde absolument pas!

Daphne hésita à préciser que ça ne la regardait pas non plus. Elle ignorait la raison exacte de l'ire d'Océlia mais se doutait que cela avait un rapport avec Icare. Le musicien sortait à présent de la salle de danse, la culpabilité se peignant sur son visage régulier.

-Je ne joue pas, affirma Angelo. Et tu devrais cesser ce remue ménage, ne vois-tu pas la confusion que tu provoques?

Et en effet, la rebuffade d'Océlia avait ameuté quelques curieux. Les jumeaux les observaient singulièrement dans l'embrasure d'une porte tandis que derrière eux, Aaricia semblait inquiète de la tournure des événements. Mais Océlia n'en avait cure et elle renchérit, remontée:

-Si tu me laissais lui parler, peut être qu'on éviterait ce fameux remue ménage comme tu le dis si bien!
-Parler? Quelle litote... Tu as le don d'atténuer tout propos.
-Bon et si tu t'écartais?! Je finis par croire que tu en pinces pour cette gamine, Korell n'en sera pas franchement ravie!
-Mesure tes paroles.

Le ton d'Angelo s'était fait de glace. Il fallait croire que la plaisanterie était allée trop loin.

-Cela suffit, intervint une voix grave.

Horriblement honteux, Icare était de retour accompagné par le fameux homme qui répondait au nom de Wooden. Ses yeux ocres se posèrent sur eux et semblèrent aussitôt se troubler d'irritation. Il l'empoigna par le bras et tandis qu'Océlia tentait en vain de se libérer, il trancha:

-Tu en as assez fait.
-Je ne crois pas, non! Cette ignoble pintade ose toucher au cœur d'Icare!

Décidemment, l'acrobate possédait un répertoire d'injures diverses et variées. C'était d'une originalité, elle semblait bien plus créative que l'était Érika. Daphne faillit sourire à l'évocation du vocabulaire fleuri de sa colocataire mais une soudaine morosité s'empara d'elle. Elle se languissait tellement de son absence... À ses côtés, Érika l'aurait certainement défendu contre vents et marées. Océlia en aurait pris de la graine.

-Icare n'est pas ton promis me semble-t-il, continua Wooden.
-J'ai toujours été là pour lui!
-Tes récits de coeurs ne m'intéressent pas. Maintenant, file si tu ne veux pas que ça s'envenime.
-Je n'ai pas terminée!
-Très bien, Évide sera ravi de clore ce débat.

La menace sembla efficace car Océlia serra les poings de frustration et s'éloigna, Wooden sur ses talons.  Angelo se détendit imperceptiblement tandis qu'Icare se fondait en excuses sincères et  désolées.

-Je suis conscient qu'il s'agit de ma faute, le blâme de son comportement me revient.

Daphne sentit son accablement, presque palpable. Angelo croisa les bras et soupira:

-Océlia est une grande fille, cesse de te tourmenter ainsi.
-Je me doute qu'elle...
- C'est à elle de prendre ses responsabilités.
-Je suis du même avis, acquiesça alors Daphne. Je ne te tient pas comme responsable, ne t'inquiète pas.

Le regard d'Icare se voila d'apaisement et il la remercia chaleureusement. Ce ne fut que lorsqu'il s'en alla gracieusement qu'Angelo lui souffla:

-C'est le moment de s'éclipser, ma chère. Sauf si tu souhaites à nouveau te confronter à Océlia? Demanda-t-il sur le ton de la plaisanterie.
-Je m'en passerai bien.

Et Daphne ne plaisantait pas, elle.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant