Chapitre 39

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-Je vais petit déjeuner.
-Je t'accompagne.

Daphne, le nez collé à la fenêtre, se leva aussitôt. Depuis le départ du train, elle n'avait pas daigné adresser la parole à quiconque. Il lui semblait s'être un instant assoupie sur l'épaule d'Owl mais elle n'en était plus certaine. Le temps s'étirait en longueur dans cette petite cabine, les autres voyageurs étaient aussi muets qu'elle. Le silence régnait. Le paysage défilait dans la clarté sombre d'un aurore encore timide, le soleil ne se lèverait que dans quelques heures. Le ciel était malgré tout strié de nuance plus claires, s'éveillant lentement. De ce que Daphne pouvait apercevoir au travers de la vitre, des forêts denses ainsi que des rivières bordaient les rails. Parfois, un brouillard épais enserrait vicieusement la locomotive et il était alors impossible de distinguer quelconques paysages.

Durant le début du voyage, la jeune femme avait tenter de s'occuper du mieux qu'elle le pouvait. Sur la buée accumulée de la vitre, elle avait dessiné du bout du doigt, tentant de donner forme à sa création. Puis elle s'était lancé dans un examen plus poussé des trois troubles-fête, jetant furtivement de discrètes oeillades aux deux femmes qui dormaient, enchevêtrées dans leur robe. L'étudiante aurait souhaité que l'une d'entre elles ronfle, cela aurait été une amusante distraction. Sown s'octroyait également du repos mais semblait bénéficier d'un confort supérieur puisqu'il avait la tête posée sur les genoux d'Évide, les cheveux épars.

Le directeur avait le nez dans un journal dont le nom lui était inconnu alors que Wooden ajustait sa cravate, toisant Sown avec hostilité. Il se demandait certainement la raison du laxisme d'Évide à son égard. Pourtant le privilège de son rang en était une. De plus, qu'il était fascinant ce Sown... Daphne ne pût s'empêcher de secrètement l'admirer lorsqu'il somnolait. Ses mèches blanches lui caressaient le visage tiraillé entre l'enfance et l'âge adulte. De longs cils embellissaient ses yeux endormis. Des traits ni totalement masculins ni complètement féminins. Mais une beauté bien réelle, aussi particulière soit elle.

-Allons y.

Owl ouvrit la porte coulissante de leur cabine et jeta un coup d'œil à l'extérieur. Évide sortit de sa léthargie et abaissa le journal dans un froissement de papier. Il dévisagea les deux jeunes gens et marmonna durement:

-Revenez vite.
-Compris, acquiesça Owl.

Alors que Sown remuait dans son profond sommeil, Daphne fut aspirée à l'extérieur de la cabine par la poigne d'Owl. La décoration du train possédait un style qui s'apparentait à un cocon agréable. En effet, l'allée dans laquelle ils avancèrent possédait un charme à lisière du désuet et du moderne de par les lampes ovales au mur et les tapisseries renaissance. Les portes coulissantes automatiques s'harmonisait avec les petite chaises rococo rembourrées du wagon bar, provenants de temps plus anciens. La moquette cramoisie s'alliait étrangement avec le rouge de la carte des menu, négligemment posée sur les tables nappées. À ses côtés une mignonne tablette électronique permettait d'envoyer sa demande en cuisine en sauvegardant simplement. Un subtil mélange de technologie et d'archaïsme.

Suivant Owl dans le wagon bar, elle pût observer tout son saoul les rares voyageurs qui mangeaient avidement leur petit déjeuner. Sous les lampes orangés tamisés, le messager élu domicile à une table près d'une fenêtre aux rideaux tirés, laissant toutefois filtrer les premières lueurs du jour. En grande observatrice qu'elle était, Daphne se posa confortablement et s'amusa à observer les clients matinaux qui ne se comptaient que sur les doigts d'une main. Un couple discutait à voix basse, échangeant de tendres gestes tandis qu'un homme semblait perdu dans les méandres du sommeil.

-Nous sommes vraiment en avance, le service ne commence-t-il pas plus tard? Demanda-t-elle.
-Non, c'est constamment ouvert, répondit doucement Owl.
-Vraiment? Dans ce cas, c'est un confort dont nous n'allons pas nous priver.

Il sourit puis s'empara de la tablette tout en faisant glisser la carte en direction de Daphne:

-Que désires-tu prendre? S'enquit-il alors.

Le menu semblait riche de choix et la décision difficile mais elle se décida rapidement pour la première formule qui s'offrait à elle. Lorsqu'elle releva la tête pour énoncer son choix, elle fut réceptive à l'oeillade peu discrète de la seule femme présente dans la pièce. Il s'agissait de celle qui déjeunait en couple et qui précédemment, murmurait de belles paroles à son vis à vis. Ce dernier s'était également retourné et octroyait Daphne de sa curieuse attention.

-Alors as-tu choisi? Réitéra Owl qui ne semblait pas avoir remarqué ce jeu de regard.

Daphne se ressaisit et acquiesça. Elle passa sa commande et alors qu'Owl transmettait les choix sur la tablette électronique, elle reporta malgré elle son attention sur le couple assis plus loin. Ils n'avaient pas bougé d'un iota, tout d'eux changé en statue de sel. La femme était une blonde au classique attrait et son compagnon arborait de jolis yeux en amande et à vue d'oeil, l'une apprêtés de habits griffés et l'autre d'ample frusques bon marché.

-Owl, connaitrais-tu ces deux personnes? Chuchota Daphne avec toute la discrétion dont elle était capable. Elles ne cessent de m'observer, ça me rend nerveuse.
-Qui donc?

Et une quatrième paires de prunelle s'ajouta à cette inspection à distance. Owl fronça les sourcils. Il avait devant lui un duo des plus dépareillé. L'homme tripotait habilement un jeu de carte et tapait nerveusement du pied, son regard vif dénotant une particulière intelligence. La femme portait en elle l'attitude d'une aristocrate, son port altier ne mentait pas. Il y avait une trace indélébile de noblesse. Ses longs ongles pianotaient sur la nappe de la table et ses yeux bleus particulièrement aiguisés semblaient aguerris à à la pratique de l'observation.

-Alors, les connais-tu? Chuchota Daphne.
-Absolument pas.

L'homme sourit curieusement et consultant la femme du regard, il se leva avec agilité. Il se dirigea vers Owl et Daphne qui échangèrent un coup d'oeil méfiant puis fit une halte afin d'inviter sa prétendue compagne de la main. La blonde se rangea aussitôt à ses côtés, plantée dans des mocassins à franges.

-Owl Gengis? S'enquit l'homme d'une voix mélodieuse.
-C'est moi, répondit-il, légèrement sur la défensive.
-Enchanté, je suis Riu et voici ma compagne, Thaïs. Nous aurions une requête à vous présenter car nous souhaiterions faire parti du Cirque Mystique.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant