Le Cirque Mystique

Chapitre 24

Angelo et Korell folâtraient et grignotaient des fruits au coin du feu lorsque Daphne fit à nouveau son entrée. Songeuse et quelque peu abattue, elle passa à côté d'eux et s'assit non loin. La venue du jeune garçon répondant au nom d'Haru l'avait inquiétée. Il était un proverbe qui assurait que ce que l'on ignorait ne pouvait faire de mal et Daphne en était fermement convaincue. Du moins, jusqu'à aujourd'hui. En réalité, rester ignorante sur son sort l'angoissait bien plus qu'elle n'osait se l'avouer. Angelo toussota et Korell lui porta une attention particulière, piochant une datte au miel dans un plateau gravé de symboles anciens.

-Penses-tu que sa fuite s'est soldée par un échec? Demanda le danseur avec une curiosité non dissimulée.
-Sa tentative aurait échoué? Répliqua à son tour Korell.
-Sans doute... Sinon, elle ne serait pas ici en ce moment.
-Son plan devait sûrement manquer de motivation.
-De motivation ou de...
-Ho! Je suis là! S'exclama la principale intéressée, ahurie qu'on fasse si peu cas de sa présence.

Angelo et Korell l'observèrent sans comprendre.

-Jusqu'à preuve du contraire, nous sommes encore dotés de tout nos sens, assura le danseur. Nous avons bien remarqué ton entrée, Daphne.
-Alors parler de moi à la troisième personne est désobligeant.
-C'est donc ce qui te dérange! Ne sois pas blessée dans ton amour propre voyons, je vais m'adresser à toi directement si tu veux.

Il se servit un quartier de pomme et sur un ton badin, il demanda:

-Alors, se peut-il que ton avis ait changé à propos de ton court séjour parmi nous?
-J'ai fait la rencontre d'un certain Haru dans le bureau d'Évide. C'était merveilleux, ironisa-t-elle. Cela suffit peut être à répondre à ta question?
-En effet, c'est limpide, soupira Korell.

Daphne réagit au quart de tour.

-Et justement, en quoi l'est-ce?

La rousse cueilla délicatement une fraise pour en nourrir son compagnon et toisa la jeune fille attentive.

-Haru est le messager du Conseil. Sois certaine qu'ils seront tous au courant de ta présence ici dès demain, si ce n'est pas déjà fait.
-Pourquoi tant d'égards?
-Ce n'en sont certainement pas, juste des précautions.
-Un piège d'Évide plutôt! Grommela la jeune fille, agacée de s'être faite avoir.
-Il a toujours un coup d'avance, c'est ainsi..., lui murmura Korell avant de vaquer à son occupation qui consistait à nourrir son amant.

Ce dernier se laissait amoureusement choyer par sa bien-aimée sous le regard frustrée de Daphne. C'est que cette réponse ne la satisfaisait aucunement mais le couple ne semblait plus prêter attention à elle, hermétique au monde extérieur. Alors elle relança la conversation, consciente de se comporter comme une enfant capricieuse:

-Qui sont ces « ils » auxquels tu fais référence?

La bulle d'intimité des deux danseurs se troubla et Korell fronça les sourcils, exaspérée d'être interrompue pour la énième fois.

-Tu le verras par toi même! Cesse de vouloir plus qu'il ne t'est permis!
-Korell sois gentille, lui dit Angelo d'une voix caressante.

Sous le toucher apaisant de son compagnon, elle canalisa son irritation et s'adoucit. Le danseur prit alors le relais, se parant d'un sérieux désarmant:

-Que veux-tu Daphne?
-Des réponses, dans la mesure du possible.
-Je ne pourrais te garantir la mesure de ce possible. Mais je suis tout ouï.

Cajolant tendrement son amante, il attendait. Daphne se confronta à son regard franc et se lança, déjà convaincue par l'honnêteté de ses futures réponses.

-Qui sont ces « ils »?
-Ce sont les dirigeants du Conseil.
-Le Conseil?

Car la vraie question était bien là, trottant dans la tête de la jeune fille. Qui étaient-ils?

-C'est un peu compliqué mais dans les grandes lignes, le Conseil est l'organisation principale qui permet au Cirque de se produire. Il finance et supervise notre Art sans pour autant intervenir directement.
-Dans ce cas, pourquoi Haru a-t-il mentionné que ma présence serait attendue avec impatience?

Hésitant, Angelo jeta une oeillade au feu crépitant dans l'âtre avant de reprendre la parole:

-Nous avons tous eu la chance d'être présenté une fois devant le maître du Conseil. C'est un passage qui officialise ton entrée parmi nous. D'autres n'ont pas eu le besoin d'être présentés  puisqu'ils appartiennent à la famille de l'un des dirigeants. Comme c'est le cas pour Owl et Korell.

Daphne fronça les sourcils, peinant à compléter les morceaux du puzzle. Tandis que Korell ne semblait pas lever le petit doigt pour l'éclairer, le danseur tenta de l'aider:

-Leur mère, Sana Gengis, dirige l'une des extensions et siège au sein du Conseil. 

Cette aide ne fit que perturber la jeune fille, elle n'y voyait pas plus clair.

-Comment ça des extensions?
-Nous sommes pas les seuls à proposer notre Art, Daphne. Il existe d'autres organisations qui gravitent autour du Cirque.

Surprise, l'étudiante comprit vaguement que le Cirque Mystique n'était pas la seule organisation à proposer un panel de numéros. Elle se demanda alors où pouvaient bien se trouver toutes les autres extensions  et quelles en étaient les caractéristiques.

-Vraiment? Et combien y en a-t-il? Et quelles sont-t-elles?
-Elles ne sont pas aussi nombreuses que tu le penses. Il y a entre autre Le Cabaret de l'Ombre ou encore Le Théâtre de la Nuit, pour ne nommer qu'elles.
-Ces noms ne me disent rien... chuchota Daphne.

Malheureusement, elle n'en avait jamais entendu parlé. Elle resta ainsi prostrée, à méditer sur ces nouveaux renseignements précieux.

-Si tu n'as plus de questions...
-Plus pour l'instant. Je te remercie d'y avoir répondu avec franchise, je me sens étrangère à tout ça.

Korell ricana en s'adressant à elle:

- Après ta fabuleuse rencontre avec Haru, il est certain que tu n'es pas plus étrangère que pourrait l'être Angelo. Il ne t'a répondu qu'en connaissance de cause. Que tu le veuilles ou non, tu seras bientôt intronisée.

Daphne comprit qu'elle n'était pas seulement entrée dans un Cirque ordinaire. Non, elle avait introduit une société dont elle ignorait jusque là l'existence. Une société qui offrait un Art différent et dont les secrets en recelaient bien d'autres. Une société dont elle faisait désormais partie malgré elle. La jeune fille en saisit à peine l'enjeu et ce fut en regardant à nouveau le couple dans les yeux qu'elle saisit qu'il fallait qu'elle tienne un rôle dont elle ignorait encore tout.