Chapitre 42

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La bâtisse de plusieurs étages dénotait fortement avec le paysage que Daphne avait aperçu au préalable. Au contraire, elle présentait une influence gothique curieusement mêlée à la grimpante nature d'Anthipolis. Des colonnes en marbres soutenaient le toit où se prélassaient des sculptures semblable à des gargouilles et des plantes recouvraient certaines façades de leurs pétales et de leurs ronces épineuses. Le grillage sombre et pointu enserrant le manoir grinça affreusement lorsqu'il s'ouvrit, les laissant pénétrer au sein d'un jardin étrangement décharné. Des bancs en pierre résolument vides, des arbres dépouillés, il semblait que le manoir avait cette triste aura bien loin des rues animées de la cité comme si le soleil y avait été congédié.

Haru avançait sans se retourner, indifférent au groupe. Plus les danseuses approchaient de l'imposante bâtisse, plus leurs mines se décomposaient, songeant certainement que leur sentence était proche. Sown ne paraissait pas inquiet pour un sous puisqu'il marchait d'un pas guilleret vers l'entrée de sa maison. Évide jeta un regard alentour et vérifia la présence du cartomane et de son assistante. Ils paraissaient nerveux eux aussi, le lieux possédait cette imposante présence impossible à ignorer. À contrario, Wooden et Owl possédaient une aisance, habitués à régulièrement fouler les marches de granit de l'entrée.

-Viens, suis moi, chuchota le messager à une Daphne déconcertée.

Une nouvelle fois, elle lui en fut reconnaissante, avoir une personne à ses côtés lui permettait de se sentir quelque peu rassurée. Ils entrèrent par la grande et lourde porte en bois où pendait un heurtoir ciselé d'une branche de laurier. La première impression qu'elle eût fut l'incroyable propreté des lieux, le sol carrelé brillait tant qu'il suffisait de se baisser pour s'y mirer. Un grand escalier en pierre à la montée droite les surplombait et de fausses plantes parsemées de ça et là avaient pour but d'habiller ce hall décharné.

Daphne en inspectait les recoins en frissonnant du manque de chaleur, les peintures n'apportaient pas une once de tiédeur. Les tableaux qui retinrent sa morbide attention fut celui d'un essaim d'oiseau en plein vol, à l'image d'une menace animale ou encore celui où des silhouettes se dépêtraient dans le piège qu'étaient des sables mouvants. Un autre la glaça quelque peu, celui d'un festin cannibale. D'instinct, elle se pressa davantage tout contre Owl qui ressentit son angoisse sourde.

-Que se passe-t-il?
-Ce lieu n'est absolument pas rassurant, lui murmura-t-elle, désignant les peintures aux murs.
-Tu n'as pas à être inquiète, ce n'est que de la décoration.

Daphne déglutit discrètement, jaugeant cette décoration de bien mauvais goût.

-Ce n'est pas ce qui nous attend si c'était ce que tu craignais, relança Owl sur le ton de l'humour.

Cela ne fit pas rire la jeune fille, trop occupée à avoir les sens en alerte. Alors quand un froissement de tissus provint du haut des escaliers, elle se raidit et tourna la tête vers la source de ce bruit. Mais ce qu'elle vit la rasséréna imperceptiblement. En effet, Haru allait à la rencontre d'une femme qui descendait les élégantes marches avec éminence. Elle se mouvait d'un pas feutrée comme si elle foulait à peine le sol qu'elle rencontrait, le tissus soyeux de ses vêtements se froissant discrètement à chaque avancée.

Sa mise sophistiquée était en accord avec le décors luxueux du hall et l'éventail qu'elle tenait à la main provenait d'une autre époque. Un masque immaculé couvrait curieusement son visage et il était évident qu'émanait de sa personne un sentiment inspirant au respect. Scrupuleux sur l'étiquette, Haru s'inclina, confirmant l'élévation du statut de la dame tandis que  Sown sortit du lot pour se permettre de l'enlacer. La femme lui rendit son étreinte avec absence.

-Bienvenu Sown, ânonna sa voix éteinte.

Puis le garnement, s'échappa de sa prise et se carapata aussi insaisissable qu'une anguille. Elle se releva, balaya l'assistance de son regard et lorsqu'elle aperçut Évide, elle sembla s'animer car elle tendit une main éperdue:

-Évide. Mon cher et tendre, souffla-t-elle émue.

Le directeur s'avança et lui témoigna son respect en lui baisant le dos de la main. Il lui dit:

-Bonjour Naeve.
-Tu nous as manqué, insista la dénommée Naeve.

Ils échangèrent un regard lourd de non-dits puis Évide lâcha la fine main qu'il enserrait fermement depuis trop longtemps. Il se recula de quelques pas et se contenta de la dévorer du regard.  Implacable, Haru se permit d'intervenir, brisant le lien entre eux deux:

-Madame, Rimec m'a sommé de les amener au boudoir. Dois je renoncer et vous les confier?
-Non mon petit, ainsi soit-il fait, acquiesça-t-elle.

Le jeune garçon se fondit rapidement en une énième révérence et il intima au groupe de le suivre de près. Daphne se rapprocha d'Owl et Thaïs et Riu suivirent le mouvement, abandonnant Évide et Wooden à la compagnie de Dame Naeve. Avant qu'ils ne sortent du hall, Daphne chuchota à l'oreille du messager:

-Pour quelles raisons porte-t-elle un masque?
-C'est intrigant n'est-ce-pas? C'est la particularité des membres Conseil, aucun visage ne doit être visible à nos yeux.

La jeune fille cilla et le scruta, curieuse:

-Mais Évide n'est-il pas membre du conseil, lui aussi?
-Parfaitement, répondit malicieusement le jeune homme.
-Dans ce cas, pourquoi ne porte-t-il pas de masque?

Owl l'observa en silence.

-Évide a toujours été un solitaire. Il ne s'encombre pas de règles qu'il juge futiles et pompeuses.

À la suite d'Haru, dans les couloir du manoir, Daphne insista pour en savoir davantage. Elle était devenue avide d'informations.

-Comment peux-tu savoir qu'Évide a toujours possédé ce caractère indomptables? Demanda-t-elle.
-J'ignore si on te l'a dit, commença Owl en riant, mais ma mère est l'une des dirigeantes du Théâtre de la Nuit. Korell et moi connaissons Évide depuis notre enfance puisque ce lieu est une demeure que nous avons grandement fréquenté.

Médusée par cette nouvelle, la jeune femme échangea un énigmatique regard avec cet homme dont elle ignorait encore tout. Cet homme qui pourtant répondait à ses questions avec l'honnêteté qui lui seyait. Cet homme qu'elle apprendrait à connaitre, quitte à y mettre un point d'honneur.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant