Chapitre 31

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Une baguette de chef d'orchestre à la main, Aaricia se faufilait dans les coulisses du cirque. Tandis que Korell enfilait ses chaussons de danse dans l'obscurité d'un rideau rougeâtre, Noy scrutait autour de lui afin de retrouver son jumeau. Angelo exécutait quelques étirements et Lee rampait silencieusement autour d'eux. La petite fille, qui n'était plus si petite que ça, recherchait du regard le musicien de la bande. Les yeux alertes, elle tentait de passer à travers l'effervescence propre à chaque début de spectacle.

Cette fois, les spectateurs avaient eu accès aux sièges par de longs escaliers interminables dont les murs reflétaient les portraits et les silhouettes par de centaines de grands miroirs. A présent, ils débouchaient sur une salle ovale habillée de brouillard. La scène encore invisible se verra habitée par les artistes. Les sièges noirs étaient mis en relief par les bordures dorées. Dans sa course, Aaricia trébucha et finit au sol. Qu'est ce qui... Un chat aux yeux lumineux s'étira et miaula en guise d'excuse. La boule de poil s'était logé en plein chemin, ce qui avait causé sa chute. La petite fille l'ayant reconnu, s'accroupit alors pour lui chuchoter en caressant machinalement sa fourrure.

-Quelle idée de se mettre sur le passage! Tu ferais mieux de te décaler..

Le chat miaula, faute de répondre par l'affirmative et fila sans demander son reste. À ses côtés s'accroupit aussitôt une tignasse châtain. Yon.

-Tu contemples?
-Non, je n'ai pas le temps. Après peut être.
-Moi je te contemple.
-Tu ne cours pas après le temps toi.

Il se saisit alors de la baguette qu'Aaricia tenait dans la main, avant même qu'elle ne réagisse. Yon la pointa devant lui et inscrit une phrase dans l'air. Sa flûte miniature posée sur ses lèvres, il siffla un air qui fit ressortir les lettres et les mots alignés de manière plus visible. Un "Moi je cours après toi" provoqua un bel émoi chez la brunette. Du haut de ses dix ans, se faire courtiser par un garçon la rendait toute chose.

-Icare m'a montré deux, trois techniques. Je penserais à lui dire merci!

Et Aaricia remercia mentalement Yon de son tact suite à cette phrase révélatrice qui faisait office de déclaration en éclatant de rire. Les yeux verts du garçon l'observaient à présent. Mais il n'eut pas l'occasion de le faire de tout son saoul car Wooden apparut dans le champs de vision de la petite fille. Sans crier gare, elle se leva pour se précipiter dans les bras de l'homme. Celui ci la prit sous son aile et la dorlota, faisant fi de son costume désormais froissé. Elle posa tendrement sa tête contre l'épaule de Wooden qui lui caressa affectueusement les cheveux, l'apaisant un instant. Tout le monde savait qu'Aaricia appréciait le secrétaire du Cirque plus que quiconque, il fallait dire qu'elle lui serait éternellement reconnaissante. C'était cet homme qui l'avait délivré d'un orphelinat où sa vie ne rimait qu'avec infortune. C'était lui qui avait permis d'être intronisée au sein du Cirque et qui prenait soin d'elle à l'image d'un père.

Discrètement, Yon s'éclipsa, s'avouant alors vaincu. Il ne faisait pas le poids face à Wooden,  sachant d'avance la direction vers laquelle la préférence d'Aaricia irait. Il s'attela donc amèrement à la tâche de trouver Icare. Tâche qu'il mena à bien car il le vit en coup de vent au détour du long couloir du Cirque. Il était à la recherche de Daphne et au vu de son visage tendu, il fallait la trouver assez rapidement. Lui tendant sa baguette de musicien, il lui promit de la chercher et de lui faire passer le message. Il continua tout droit tandis que le musicien prit le chemin inverse.

Il entendit la mélodie typique de l'ouverture de la scène et son cœur rata un battement. Il fallait absolument qu'il retrouve cette fille au plus vite. Décidément, c'était un aimant à problème. Il tenta chaque pièce du couloir mais elle était introuvable. Il se rappela qu'il restait le boudoir de Zalie et lorsqu'il s'y dirigea, il fut surprit de croiser Évide. Ce dernier déambulait, soudainement attentif à l'apparition d'un Yon agité. Ce qui exhorta aussitôt l'enfant au calme. Les cheveux particuliers du directeur du Cirque luisaient au gré des flammes au mur, lui conférant une aura terrible. Dans ses sombres prunelles, Yon perçut qu'il l'inspectait des pieds à la tête. Sous sa démarche féline, la moquette crissait. De sa peau se dégageait un capiteux parfum d'ambre et de jasmin, une captivante effluve aguicheuse.

-Bonjour Yon.

Puis ce fut tout. Évide avait prononcé ces paroles sur un ton suâve puis s'en était allé, sans attendre de réponse en retour. Le garçon le vit disparaître tel un mirage, avec admiration, il fallait en convenir. C'était des hommes de cette trempe qu'Aaricia aimait bien, il en était certain. Il faudrait qu'il apprenne à être comme eux et qu'il se forge un caractère et une aura mystérieuse mais il en était encore bien loin, sa gentillesse lui faisant défaut.

Pour se changer le idées, il secoua la tête, se rappelant soudain de sa mission. Grommelant contre Daphne et sa fichue discrétion, il ouvrit la porte du boudoir de Zalie par pur hasard. Il faillit soupirer de satisfaction quand il l'aperçut devant un miroir, à s'admirer sous toutes les coutures. Il eut envie de la secouer, ce n'était pas le moment de perdre son temps à en avoir plein les mirettes. Ils avait une représentation ce soir! Il se déclara d'un raclement de gorge et la jeune femme se tourna vers lui, surprise. Lorsqu'elle le reconnu, elle lui adressa une mine affable.

-Oui? Demanda-t-elle aussitôt.
-Icare te cherche.

Puis lorsqu'elle lui confirma qu'elle irait à sa rencontre, il rebroussa chemin. En son for intérieur, Yon espéra qu'elle ne gâcherait pas son numéro. L'angoisse de la première représentation pouvait avoir raison de la maitrise de quiconque. Lui aussi avait eu la boule au ventre lors de son premier numéro. Toutefois, cette fois ci, Évide avait bien spécifié qu'il ne tolérerait aucune bévue. Ce dernier rodait surement encore dans le couloir du Cirque, certainement à la recherche d'une quelconques maladresses ou imprudences professionnelles. De quoi faire trembler Yon d'appréhension.

Décidément, il espéra de tout cœur pour qu'il n'y ait aucun soucis ce soir.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant