Chapitre 54

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Durant tout le long de sa vie, il est possible de tomber de bien des manières: tomber de son nid, tomber de haut, tomber à l'eau ou encore tomber sur l'âme soeur...

Voilà vingt-cinq années qu'Owl revivait à de nombreuses reprises cette étrange sensation de chute. Il avait souvent trébuché mais qu'importe, il s'était toujours relevé. Cette fois, c'était différent. Il devait encaisser la tragique nouvelle. Se reprendre en main lui semblait au delà de ses forces. L'énergie lui manquait cruellement et debout sous la furieuse pluie d'Anthipolis, il était perdu. Pourtant, sa mère et la troupe du Cirque l'avait rejoint au Manoir mais sa soeur Korell manquait à l'appel.

Le jardin du Manoir était lugubre, les fleurs s'étaient dénudées sous le froid de l'Hiver. Errant tel une âme en peine, il ne prit pas garde à la pluie qui lui mouillait le corps. À présent trempé, il s'assit mécaniquement sur un banc exposé aux quatre vents. Les gouttes échouaient le long de son visage, le regard éteint. Il avait perdu Icare et l'état de sa sœur était incertain. Mais comment être sûr qu'on ne lui avait pas omis des détails volontairement?

Non, Owl ne voulait plus le savoir. Fatigué, il voulait préserver sa santé mentale, il refusait d'entendre les sentences du Conseil. Voir sa mère céder à l'hystérie l'avait ébranlé. Tout ceci était bien trop réel pour lui, il ne souhaitait pas s'effondrer à son tour. Alors, il s'était enfui de cette bibliothèque pour se réfugier dans une pièce éloignée. Mais le silence l'avait davantage troublé. Il s'était trainé jusqu'à la sortie principale.

-Owl...

Comme pour le sortir de sa solitude, son fidèle compagnon se posa sur le banc en pierre. Casper avait bravé l'orage qui grondait pour être à ses côtés. Malgré cela, le jeune homme demeura mutique.

-Owl.. S'il te plaît, dis quelque chose..

L'oiseau se rapprocha de son ami, son plumage s'alourdissait. Casper n'en menait pas large, bien malhabile pour réconforter quiconque ; ce n'était pas dans ses cordes.

-Je t'en prie...

Le volatile se tut. Son attention fut soudainement attirée par une silhouette gracieuse. Les cheveux blonds étaient l'unique tâche de couleur dans la pénombre. Tiffen Falengaï se triturait les doigts à la vue de son ancien amant.

Elle aussi avait suivi Owl, inquiète et soucieuse.

-Qu'est ce que tu fais là? demanda Casper.
-Je viens... le voir.
-C'est bon maintenant. Tu l'as vu, tu peux repartir.

Ignorant l'oiseau, elle s'accroupit. Le roux leva la tête lorsqu'elle lui serra la main, émergeant lentement. Tiffen détestait la pluie habituellement, que lui voulait-elle?

-Rentrons Owl..

Sous les nuages sombres, ils se contemplèrent. Longtemps.

-Je ne veux pas, murmura-t-il alors.
-Rentrons, tu vas prendre froid, tu te rends malade.
-Je le suis déjà.

Tremblante, Tiffen lui pressait les mains tandis que Casper se décala, de mauvaise foi. Décidément, les femmes devaient posséder un charme certain pour qu'Owl s'anime à leur toucher.

-Non c'est faux, maintenant allons nous mettre à l'abri, insista la jeune femme la voix frémissante.
-Ca m'importe peut.
-Je te déteste Owl!

Les joues rougis, la blonde continuait à le dévisager et soudainement s'agrippa à lui:

-Je te déteste, répéta-t-elle. Et je me déteste de trop t'aimer.

À l'entente de cette soudaine déclaration, Casper émit un son guttural de désapprobation.

-Je regrette ce qui se passe actuellement, dit-elle. Je crois savoir qu'Icare était un ami très proche et même si je ne saisis pas vraiment les récents événements, ne te reproche rien.
-Tu ne sais pas de quoi tu parles, soupira Owl d'un ton las.
-Je suis peut-être pas toujours perspicace mais je sais que tu es entouré de personnes qui ne t'abandonneront jamais.
-Icare nous a abandonnés !

Tiffen acquiesça légèrement et s'approcha si bien qu'elle put murmurer au creux de son oreille :

-Nous ne sommes pas tous comme Icare. À commencer par moi.

Owl se leva brusquement et se défit de la poigne de la danseuse. Il souhaitait être seul.

-Je ne peux répondre à tes sentiments, j'en suis désolé!
-Je m'en doutais, murmura-t-elle.

Les gouttes de pluie roulaient sur le visage de Tiffen lorsqu'elle le laissa s'éloigner. Casper renonça à le suivre, cela était inutile d'insister. Elle se redressa à son tour pour s'assoir à la place qu'avait occupé son amant.

-Tu crois qu'il ira mieux?
-C'est à moi que tu t'adresses? Persifla l'oiseau

La jeune femme soupira, cet animal était décidément trop cynique pour elle, toujours aussi désagréable et de mauvais poil avec son prochain.

-Ce n'est pas le moment de compliquer les choses, Casper.
-C'est toi qui me dis ça? Tu profites d'un moment de faiblesse pour reconquérir Owl et c'est moi qui complique les choses?
-Cela n'a rien à voir!

Casper eut un rire moqueur, cette opportuniste à la petite semaine serait son défouloir.

-Qu'est-ce que tu as dans le ciboulot? C'est vrai qu'il a la tête à conter fleurette à son ancienne maîtresse, continua t-il ironique.
-J'étais sa compagne, pas sa maîtresse!
-Tu es la seule à le penser ma pauvre Tiffen...

Et sans attendre de réponse, il s'envola avec peine sous la pluie battante.
Pendant ce temps, Owl avait atteint le perron de l'Opéra et pénétré dans le hall du Manoir. Le messager avait perdu toute allure et l'eau s'accumulait sur son passage mais il n'y prêta guère plus d'attention. Soucieux, il grimpa les escaliers et arpenta les couloirs déserts sans but précis. Une voix familière le héla. Il ne prit pas la peine de se retourner, perdu, il l'était bel et bien. On l'interpella une nouvelle fois, la voix et la silhouette s'étaient rapprochées de lui. Il tourna la tête et vit Daphne qui tenait Aaricia par la main. Que lui voulaient-elles encore?

-Aaricia, appelle- moi Angelo s'il te plaît, réclama la peintre.

La petite adolescente s'exécuta aussitôt. Dans l'obscurité du couloir, Daphne vit en demi-teinte un homme affaissé, sa belle chevelure aplatie sur un teint blafard.

-Owl, qu'y-a-t-il?
-Rien Daphne, ne t'inquiète pas.
-Je t'en prie, dis-moi...

Ce messager, d'ordinaire si doux et lumineux, semblait abattu à présent.

-Je veux rester seul Daphne.
-Ce n'est pas comme cela que tu iras mieux, tu sais?
-C'est tout ce que je souhaite pour le moment.
-Ce n'est pas une bonne idée, je t'assure.

Daphne lui saisit l'épaule, il se dégagea à ce contact:

-Je n'en ai rien à faire!
-Alors pourquoi pleures-tu?

En effet, il pleurait.

-C'est la pluie.

Doucement, elle le serra contre elle, le réconfortant tout en pudeur. Rendre les armes n'était pas synonyme de faiblesse.

-Tu as le droit de pleurer aussi Owl... Je ne dirai rien.

Lorsqu'Angelo et Aaricia arrivèrent, la scène qui se présentait à eux leur serra le coeur. Au creux des bras d'une Daphne désolée, un homme effondré, sanglotait.

Le Cirque MystiqueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant