Partie 4 : l'attaque

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1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7

Leur premier geste est de courir les uns vers les autres, de se toucher pour voir si tout va bien, si personne n'est blessé. Impossible de se blesser en restant immobile dans une pièce qui n'a rien de dangereux, mais ils le font quand même, même 2 qui est si raisonnable, elle prend 6 dans ses bras tandis que 1 prend 7, puis ils avancent. 5 ouvre la marche. C'est la seule à tenir un semblant d'arme, un appareil servant à analyser l'atmosphère d'une pièce à la molécule près. Il est assez lourd et il a une poignée, c'est pour ça que 5 l'a choisi. Ils marchent, n'osant ni courir ni rester sur place. Les humains peuvent s'apercevoir que les portes sont ouvertes et donner un contre-ordre au Réseau de sécurité. La pensée vient de 2 mais elle passe rapidement de l'un à l'autre. Leurs sept corps sont en tech, et à présent qu'ils sont proches les uns des autres, ils forment un Réseau à part, dans l'anhylo duquel leurs sept esprits s'envoient émotions, informations, doutes et volonté. L'idée les contamine tous et, dans un ensemble parfait, ils accélèrent le pas. 1 confie la petite 7 à 3, et renvoie gentiment mais fermement 5 à l'arrière. C'est lui l'aîné, et même s'il est mort de peur, il est bien décidé à jouer son rôle correctement. Il doit veiller sur eux tous. Les protéger. Donc être prêt à tout.

Ils sortent du couloir et traversent les salles plongées dans le noir. Quand ils entendent du bruit, ils s'approchent. Ils n'avaient encore jamais remarqué que le son se répercutait de cette manière dans les couloirs déserts, rebondissant sur les parois carrelées. Ce qui leur fait sentir plus cruellement le silence anormal de toutes les machines du laboratoire. Ils ont du mal à saisir l'origine du bruit et ne peuvent pas encore l'identifier.

2 dit à 1 Tu avais raison, il faut qu'on se sépare. S'il y a du danger, on fait une cible trop facile.

Il lui en a coûté d'admettre cette idée, et encore plus de la transmettre à son frère. Pourtant, c'est évident. On les a préparés à ce genre de situation. Les plus grands protègent les plus petits et tout le monde se sépare pour ne pas former une cible facile. Le plus important, c'est la survie du groupe, pas celle de chaque individu. Mais « cible facile » ce ne sont que des mots encore, des mots qui ne peuvent pas s'appliquer à eux, impossible : autant admettre qu'on peut chercher à les tuer, que le sanctuaire du laboratoire est violé, que leur univers part à la dérive. On leur a parlé de se protéger et ils ont appris, bien sagement, comme ils apprennent toutes leurs leçons. Mais il leur est impossible de réaliser que, réellement, ils doivent appliquer ces principes.

1 aussi refuse d'admettre la présence de danger. Mais il est responsable des autres. Tout en pensant qu'il est ridicule de prendre ce simple bug au sérieux, il applique ce qu'on lui a appris.

3 risque timidement c'est peut-être un exercice, non ?, et immédiatement 1 adopte cette idée avec soulagement. Oui, ce n'est sans doute que ça, un exercice, un simple exercice pour savoir comment ils réagiraient en cas de chaos. Ils étaient tous enfermés dans leurs chambres et censés ne pas être capables d'en sortir. Peut-être que quelqu'un a voulu les tester, découvrir s'ils avaient des capacités cachées. Certainement pas un des professeurs, peut-être un nouveau envoyé par le gouvernement. Maintenant, ils doivent montrer qu'ils ont bien appris ce qu'ils doivent faire, et s'arranger pour neutraliser le bruit — ce satané bruit lointain qui leur donne la chair de poule — sans prendre de risques. Après quoi, les adultes ressortiront de leurs cachettes et le monde se remettra à tourner rond. Oui. C'est le mieux à faire.

Concrètement, il faut que les plus jeunes rejoignent une salle où ils seront en sécurité. La E22/54, suggère 2 : elle est remplie d'objets techs et construite un peu à l'écart, avec une seule issue. Impossible d'y entrer ou de pirater son système de survie si des Techs la contrôlent. Même si on peut toujours attendre que la faim et la soif les fassent ressortir, ou carrément pulvériser le bâtiment. Mais qui ferait ça ? Non, les petits seront en sûreté là le temps que leurs aînés trouvent une solution. Silencieusement, les Techs se glissent le long des couloirs, si familiers et pourtant si étrangers cette nuit, remplis de menaces implicites. Jusqu'à ce qu'ils croisent un couloir où le son vient directement les heurter. Ils reconnaissent le bruit abominable d'une mitraillette et d'un hurlement de douleur.

NON ! crient tous les Techs au fond d'eux-mêmes — qui a été blessé ? Qui a fait du mal à ceux qui veillaient sur eux ? Pourquoi ? 1, 2 et 3 courent vers le bruit, les autres vont se réfugier dans la salle E22/54. Normalement, 3 n'aurait pas dû venir avec les plus grands, elle n'a encore que douze ans, elle n'est pas bonne pour se battre et même 6 est plus à l'aise qu'elle dans le Réseau. Mais s'il y a le moindre risque que les professeurs soient réellement en danger, hors de question qu'elle reste en arrière. Elle est prête à tout.

Ils courent ensemble puis se dispersent. Ils connaissent ces salles par cœur. Toutes les portes sont ouvertes devant eux. L'origine des bruits — qu'ils refusent encore d'appeler des combats — se retrouve entre eux trois. Ils n'entendent d'ailleurs plus rien à présent. En temps normal, quand le monde tourne rond, les humains restent la nuit dans leurs logements, bâtis plus loin sur l'île, ou dans la salle de surveillance d'où on contrôle tout le laboratoire. Trois gardiens font la ronde dans les immenses couloirs, un autre surveille l'unique entrée. Ils doivent être là, quelque part. 2 descend voir s'il reste quelqu'un à l'intérieur, tandis que 1 et 3 montent à l'air libre. Les ascenseurs ne fonctionnent plus. 2 entre dans la salle de surveillance.



2

Tout est brillamment éclairé. Il ne reste qu'une seule personne à l'intérieur. Elle est debout. Une femme habillée d'un treillis militaire. Elle a une arme. Vu comme elle la tient, elle sait mieux s'en servir que des ordinateurs techs et binaires qu'elle tripote en jurant. Elle essaye en même temps de reprendre le contrôle des portes et de se servir des caméras, pour l'instant inutiles dans le noir complet du laboratoire. Elle passe de l'une à l'autre. Elle cherche. Elle a tué tout le monde. Trois surveillants sont morts et leur sang a giclé sur ses bottes. Elle leur tourne le dos et pianote furieusement sur les claviers. Elle ne s'est pas aperçue de la présence de 2 derrière elle.

La jeune fille transmet ce qu'elle voit à 1 et à 3 puis se coupe du Réseau. Pas la peine d'attendre leurs réactions. Elle sait très bien ce qu'elle va faire. Elle se penche silencieusement vers l'un des surveillants — c'est Emily, intérieurement elle lui demande pardon — et lui prend l'arme à feu que tous les membres du laboratoire doivent porter lorsqu'ils ne sont plus dans la zone des Techs. C'est une arme non-tech mais 2 sait s'en servir.

Mettant un soin infini à ne pas poser ses pieds nus sur le sang des surveillants — elle le ressentirait comme un sacrilège — 2 s'avance et, délicatement, pose le canon de son arme sur la nuque de l'ennemi. L'autre se fige. Oui, 2 sait qu'elle est trop près et que la femme peut tenter, en se retournant vivement, de lui arracher son pistolet, et en fait 2 aimerait même qu'elle essaye, histoire de pouvoir la cueillir d'un grand coup de genou et de la maîtriser en frappant, comme si frapper cette horrible tueuse était la seule chose à faire, la plus logique dans ce monde qui est devenu fou.

Au lieu de ça, la femme met ses mains en l'air. Elle semble coopérative. « Alors c'est comme ça », pense 2 qui est à deux doigts de se mettre à rire, un grand fou rire qui balaierait tout. « On arrive, on tue les gens, on met du sang partout, et quand on se fait attraper on coopère et tout se passe bien. Comme quand des enfants jouent à la guerre et qu'ils disent pouce, on arrête. Ça m'a toujours semblé si évident qu'il ne faut pas frapper ses prisonniers, que la guerre c'est mal, que c'est absurde de tuer. Mais elle je veux lui faire mal. Ça ne servirait à rien. Mais je pourrais la tuer, là,tout de suite, et personne ne le saurait. » 

Les Techs - Tome 1 : les secrets du LaboratoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant