Partie 39 : ... ne savent pas ce qu'ils font

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6

6 a l'habitude d'être au centre de toutes les attentions. Lui et ses frères et sœurs savaient tous qu'ils étaient des objets d'études et trouvaient ça très naturel. Les membres du laboratoire se comportaient d'ailleurs de façon naturelle avec eux. Personne, par exemple, ne l'avait emmené un jour dans une salle vide et insonorisée, bardée de caméras et pourvue d'un immense miroir sans tain, avec une montagne de jouets de tous âges et cette sobre consigne : « Joue. ». Et aucun surveillant ni aucun testeur ne se serait assis dans un coin de la pièce à gribouiller sur un bloc sans lui accorder le moindre regard. 6 soupire. Le B.A.G.N. est décidément nettement moins bien que le laboratoire.

Il s'assoit près de la pile de jouets. Ils sont presque tous de couleur vive, gais, une invitation à s'amuser, et les voir jetés au sol aussi négligemment le désole. Il aurait bien aimé en avoir autant au laboratoire et il sait que les autres aussi. À l'heure qu'il est, 1 et 7 traquent leurs ennemis, 2 sert de décoration tout en espionnant leurs « maîtres », 3, 4 et 5 vivent au milieu des adultes. Ils sont tous bien loin de cette pièce sans fenêtre, où malgré le surveillant grisâtre ils auraient pu s'amuser tous les sept.

L'enfant se penche et examine le tas. Cette poupée, rose et brillante, aurait beaucoup plu à 7, c'est celle-là qu'elle aurait prise, aucun doute. 5 aurait adoré ces monstres transformables aux dents acérées. 4 aurait sans doute pris cette peluche fluo au nez en forme de concombre et aux yeux pendant au bout de deux ressorts, il aurait fait le pitre pendant des heures avec. Quant aux grands, c'est plus dur à dire. Mais 6 cherche quand même. Peut-être ce collier pour 3, il est beau avec sa manière de passer par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel... Ensuite, le cube à facette pour 2, elle aime ce genre de jeux à énigme. Et pour 1 une montre cachant des bonbons. Voilà. 6 n'a plus qu'à demander l'autorisation d'emporter tout ça et il les leur donnera dès qu'il les verra. C'est la seule chose intéressante qu'il peut imaginer faire pour le moment, seul avec le robot qui prend des notes à toute allure, comme si les caméras et les ordinateurs n'existaient pas.

Il sait que les agents du B.A.G.N. vont refuser. Ils ne sont pas méchants avec lui. Ils se contentent de le traiter comme s'il allait exploser à tout moment, et de le séparer de sa sœur. 6 ne les déteste pas. Mais de temps en temps, quand il en a vraiment marre de tout et que l'envie de rentrer chez lui au laboratoire le prend comme une griffe qui lui déchirerait la gorge, il aime leur faire peur. Il s'arrête net et roule des yeux, fait bouger les objets, fait clignoter les lumières, lit les agendas électroniques techs et récite leur contenu comme s'il était en transe. Après ça dès qu'il fait un geste vers quelqu'un, la personne sursaute. Piètre vengeance qui lui procure pourtant la satisfaction rassurante du pouvoir. Les gens continuent à l'ignorer. Ils trichent. C'est trop facile d'ignorer le regard d'un petit garçon d'un mètre vingt-deux.

Seul Andrew Burther le regarde. 6 ne lui fait plus du tout confiance mais au moins c'est une vraie compagnie, pas un simple enregistreur humain. Et une certaine Nancy Bear. Elle prend toujours le temps de lui parler et de lui sourire quand ils se croisent dans les interminables couloirs du B.A.G.N. Elle lui rappelle Linda, sa surveillante préférée. Il ne sait pas non plus s'il peut lui faire confiance et il a demandé à 2 de regarder. Sa sœur lui a promis qu'elle le ferait dès qu'elle aurait le temps. Elle est très occupée en ce moment.



1 et 7

« Le voilà » dit simplement Sanx en entendant son père rentrer. 1 avale sa salive difficilement. Cette fois, cette fois ça y est. Le face à face. Il ne peut pas fuir.

Il confie Juliette à Sanx. JE VEUX RESTER AVEC TOI ! supplie 7 très fort. Mais sur ce point 1 est inflexible. Il ne sait même pas si l'autre est armé. Et le Tech fait confiance à Sanx, il parvient à transmettre cette confiance à la fillette qui finit par accepter de rester dans la cuisine avec l'adolescent. 1 franchit la porte seul.

Il avance jusqu'à croiser un homme qui ne peut être qu'Eston Larch. D'abord parce qu'il a le code de la maison. Ensuite parce qu'il ressemble vaguement à Sanx. Et enfin parce qu'il s'enfuit dès qu'il voit le Tech devant lui, une réaction que seuls leurs ennemis ou leurs complices peuvent avoir. Il porte des vêtements techs et s'enfuit dans un salon dont les meubles sont techs. Mauvais calcul...

D'une pensée 1 fixe ses vêtements au tissu du canapé, l'enfermant ainsi dans la plus moelleuse des prisons. Le jeune homme s'avance. Par où commencer ? Peut-être par...

« Vous savez qui je suis ?

Il l'a dit d'un ton qu'il voulait menaçant. C'est un grondement qui est sorti. Ça lui va. L'homme se recroqueville autant que l'étoffe le lui permet. Il a l'air terrorisé et doit s'y reprendre à trois fois avant d'arriver à répondre :

— Tu es un des... un des... de ceux du laboratoire.

— Qui vous a parlé de nous ?

— Je ne dirais rien !

— Pourquoi vous vouliez nous tuer !

Sans s'en rendre compte, 1 a hurlé cette phrase... juste avant de sentir que 7 est dans la pièce. Si elle y est c'est que Sanx y est aussi. 1 se retourne. Oui, ils sont là tous les deux, le jeune homme écarquille les yeux mais ne bouge pas, la main de 7 serrée dans la sienne.

— Il a quoi ? » demande Sanx — si doucement que 1 se demande s'il n'a pas imaginé ces mots.

C'est lui le méchant ? demande 7, pour qui il est évidemment possible pour son grand frère d'arriver si facilement à trouver l'instigateur du complot et de l'obliger à les laisser tranquilles.

Comment est-ce que je vais me sortir de ça ? se demande 1. L'homme ne veut rien dire et quoi que le Tech se soit senti le courage — ou l'ignominie — de faire pour l'obliger à parler, maintenant c'est impossible, pas devant son propre fils.

— S'il vous plait tous les deux, dit-il d'une voix beaucoup trop proche de la rupture, retournez à la cuisine. Il faut qu'il m'explique tout ça, d'accord ? J'ai besoin de savoir.

— Laisse mon fils tranquille, il n'a rien à voir avec tout ça ! s'emporte Larch.

1 se retourne vers lui, surpris.

— Hein ? On a juste discuté. On n'a rien fait de mal à Sanx.

— Bordel, s'emporte l'intéressé, qu'est-ce qui se passe ?

— Va-t'en ! crie son père. Ne les laissent pas te prendre !

Pendant ce temps 1 demande à 7 éloigne-le et raconte-lui tout.

Et s'il a peur de moi ?

Il ne te fera pas de mal. Je te le promets. 1 ne s'explique pas cette confiance aveugle mais il choisit de la suivre.

Les Techs - Tome 1 : les secrets du LaboratoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant