Partie 98 : en dépit des obstacles

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Agissant à la fois sur le Réseau et avec Sanx, 1 ne l'aperçoit qu'à la dernière seconde, une intuition lui fait relever la tête juste à temps pour amorcer une esquive. C'est grâce à ce mouvement subit qu'au lieu de se prendre une manchette à haute vélocité dans la nuque, c'est son épaule qu'il sent exploser de douleur, la même qui s'était réparée à grand-peine du coup de couteau, et il hurle. Mais au moins il ne s'évanouit pas. Il est même plus que prêt à riposter. Son adversaire esquive de justesse un coup de pied et frappe encore. La vitesse surhumaine du Tech est compensée par l'entraînement surhumain d'Hanga, les coups se succèdent sans que l'un d'entre eux ne parvienne à s'assurer un avantage important, le sang gicle des blessures superficielles. Hanga finit par rompre l'engagement et se reculer suffisamment pour dégainer son pistolet non-tech. Elle ne doit pas tuer 1, même si elle-même doit y perdre la vie, mais il a un autre point faible. L'agent d'Edmund braque l'arme sur Sanx. 1 se pétrifie.

« Rends-toi, ordonne Hanga en tentant de reprendre le contrôle de sa respiration. Rends-toi ou je le tue.

Sanx est à trois mètres de son arme. Elle ne peut pas le rater. Et elle peut tirer avant qu'aucun de deux garçons ne puisse faire quoi que ce soit. Sanx ne dit rien et lève sagement les mains en l'air. Il n'a pas l'air de s'affoler. 1, par contre, meurt de peur. Il sait que Sanx n'a pas la moindre valeur aux yeux de ses ennemis et que même s'il obéit, cette femme pourrait le tuer. Il sait qu'il devrait échanger la liberté de Sanx contre des otages, ou même contre l'aéroport tout entier, qu'il était censé bluffer pour libérer ses frères et sœurs et qu'il n'a qu'à faire la même chose pour libérer Sanx. C'est la logique même. Mais il voit l'arme qui le menace et sait qu'il est incapable de vaincre sa terreur. Il lève les mains et murmure :

— C'est bon... lâchez-le...

— Mais non. » intervient Sanx.

Le jeune homme paraît très calme. Il sourit, même. Un sourire un peu moqueur, un peu cruel, un peu tremblant, adressé à la femme qui menace sa vie.

— Vous n'allez pas me tuer, continue-t-il. Parce que, si je meurs, vous perdez le Tech. Vous êtes sur son territoire, il contrôle totalement les lieux, et il va être furieux. Vous savez, tout le monde a sa limite. Même lui. Il est adorable. Il ne veut faire du mal à personne. Mais si vous lui faites assez mal, il va exploser. Il est humain, quand même. Non, vous ne pouvez pas vous en sortir : si vous me tuez, il vous élimine de l'équation, si vous ne me tuez pas, on gagne. Moi, j'ai une chance sur deux. Vous, zéro. Et 1 en sort forcément gagnant.

Ce discours bravache ne fait pas hésiter Hanga qui surveille toujours 1 en priorité. Elle ne veut pas faire feu et griller sa meilleure cartouche trop tôt, mais elle n'hésitera pas si 1 bouge d'un millimètre. Il ne bouge absolument pas. Il paraît presque éteint. Le sang-froid de Sanx lui a remis les idées en place : oui, il est sur son territoire et il peut combattre.

Hanga a pris en compte les instruments techs à disposition de 1. Dans la petite salle, ils sont peu nombreux : fil d'or du Réseau — mince et parfaitement mou, même s'il était désincrusté du mur — panneaux publicitaires — protégés par du plexiglas non-tech — et caméras. Rien, selon ses renseignements, qui puisse lui servir d'arme. Et jamais 1 ne s'en était servi comme d'une arme. Mais maintenant que sa peur se teinte de haine, il ressent la présence de chaque élément tech de la pièce d'une manière qui ressemble à la fusion qu'il a ressentie dans le camp militaire d'Edmund. Il n'investit pas le Réseau comme un instrument qui véhiculerait sa pensée. Il l'intègre comme un nouveau membre de son corps. Un membre fin et mou mais capable de devenir n'importe quoi pour lui. Plus besoin de code chimique ou d'ordre informatique pour faire réagir la matière tech — en a-t-il déjà réellement eu besoin ? Rien que la volonté de faire disparaître cette menace, la volonté qui se tend...

Dans un claquement tous les fils de Réseau de la salle se tendent, s'arrachant des murs pour devenir des fils plus solides que l'acier, plus tranchants qu'un rasoir, plantés parfaitement droit dans une complexe figure géométrique en trois dimensions, qui entoure l'agent Hanga et lui interdit le moindre mouvement. Et seuls ses excellents réflexes l'ont empêchée de faire ce mouvement mortel lorsqu'un fil lui a transpercé le poignet droit, la main qui tenait le pistolet.

— Joli, commente Sanx qui ne parvient pas totalement à cacher sa surprise. Je ne savais pas que tu pouvais faire ça.

— Moi non plus, répond froidement le Tech.

Il désarme sa prisonnière et la regarde avec une expression de haine glacée et de mépris qui ne lui ressemble pas. Le plus négligemment qu'il peut, Sanx lui demande :

— Et maintenant, tu vas la tuer ?

Silence. À travers l'entrelacement de fils d'or, il croise le regard de l'agent, et aucune pitié n'apparaît. De son côté, Hanga reste fière, refusant de supplier et surtout d'avouer quoi que ce soit. Elle a perdu et en accepte les conséquences. Finalement, après un rude combat contre lui-même, 1 répond :

— Non.

Puis il retourne à sa prise d'otage. L'attaque a été très rapide et il n'a pas perdu le contrôle de la situation. Rassuré, Sanx lui passe doucement la main dans les cheveux, puis s'approche de la statue vivante et lui signale gentiment :

— Je vous l'avais dit : tout le monde a ses limites. Là, vous pouvez vous estimer heureuse : la limite, vous l'avez à peine effleurée. Ça aurait pu mal finir.

Le sang de la femme goutte lentement sur le sol tandis qu'elle s'efforce de ne pas faire le moindre geste. Les fils ont déjà lacéré ses vêtements à deux endroits. Elle ne répond rien.

— J'ai lancé les rumeurs, signale 1. Les gens sont plutôt tranquilles. Il n'y a pas assez de place dans les abris, mais je les ai installés dans les terminaux renforcés, tout le monde y croit. Maintenant, je vais appeler M. Edmund.

— Super, répond Sanx. Dis-moi... tu peux mettre une image de ce que tu vois sur le Réseau, non ?

— Oui.

— Parfait. Trafique donc la photo de la demoiselle pour qu'elle ait l'air morte. Histoire de montrer que tu es vraiment déterminé. Et pareil pour les otages : si vraiment il ne marche pas, quelques faux morts devraient le faire changer d'avis.

— Et s'il s'en fiche ?

— Alors il faudra menacer quelque chose de plus vital que des gens — peut-être l'économie mondiale, ou la fabrication d'armes militaires. Mais commence déjà par les gens. Ce bluff-là ne marchera qu'une fois. Soigne-le bien.

— Oui. »

C'est le moment décisif. 1 contacte M. Edmund.

Les Techs - Tome 1 : les secrets du LaboratoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant