Partie 111 : M. Edmund

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M. Edmund


C'est à présent que toutes les tensions se cristallisent. Une fois que les forces opposées ont tiré au maximum et qu'il ne reste plus pour chaque camp qu'à contempler les nœuds qui en résultent, compter leurs points et vérifier qu'il leur reste assez de ressources pour continuer à miser. Le moment de voir qui, de l'Alliance, de la SRAM ou du challenger masqué, a réellement dominé la partie.

L'Alliance a la légitimité des nations les plus riches et puissantes de la planète. Elle a l'armée, les services secrets du B.A.G.N., les antiterroristes, des citoyens éduqués qui élisent leurs représentants. Mais elle a les HR, une opinion publique manipulée depuis trop longtemps, des révoltes violentes, et ses gouvernements sont impuissants face à la SRAM. En dépit de tous ses complots, elle est totalement dépendante de la matière tech et n'a aucun moyen de contrôle sur le Réseau, à part la terreur et la diversion par la masse. L'Alliance a créé les sept Techs en espérant obtenir une plus grande puissance militaire, elle s'est retrouvée par hasard en possession de l'ultime moyen de prendre le contrôle du monde, et elle les a laissés filer tous les sept. L'Alliance est toujours dangereuse, comme un prédateur mortellement blessé, mais elle a perdu.

La SRAM possède tous les secrets de la matière tech. Elle contrôle le Réseau, l'argent, l'essentiel des biens matériels de chaque citoyen de l'Alliance, et son accord est nécessaire pour organiser la moindre opération militaire. Les gens ont appris à ne pas lui poser de questions et elle a acheté la paix publique. Son poids et son goût du secret en font un monolithe incapable de s'adapter, ce qui était inutile il y a encore quelques années, puisqu'elle dominait le monde. Les Techs créés par l'Alliance la menaçaient, elle a infiltré les recherches à leur sujet pour acquérir encore davantage de pouvoir et de connaissances, avant de chercher à les prendre pour son propre usage. Erreur fatale, son intérêt aurait été de les tuer immédiatement et de détruire toute trace de ces recherches ensuite. Elle a été trop avide face à ce pouvoir fabuleux qu'elle n'aurait de toute façon pas été capable de contrôler. À présent les secrets qui assuraient son pouvoir sont offerts au public et elle n'arrivera jamais à réparer les dégâts. Il ne lui reste qu'à se protéger pour limiter au maximum la casse, peut-être utiliser les plus mafieuses de ses branches pour survivre, à moins que les dirigeants ne prennent tout l'argent qu'ils ont sous la main avant de quitter le navire. La SRAM n'est pas à négliger, mais elle n'a plus les moyens de continuer à jouer.

Et au final, qui est sur place pour ouvrir le laboratoire le plus secret du monde, bientôt rejoint de leur plein gré par les sept Techs ? Le dernier qu'on aurait attendu, M. Edmund, celui qui n'avait que des espions et des complots, qui a joué toute la partie en utilisant le bluff et l'espoir. Il médite sur sa victoire imminente, cherchant encore et encore les failles qu'il aurait pu négliger, et il lui apparaît très clairement que ce qui a perdu ses adversaires, c'est surtout le fait qu'ils n'aient su tenir compte des gens. Assurer l'équilibre des pouvoirs était délicat et chaque camp a dû faire des sacrifices. Les mécontentements, les peurs, les haines se sont accumulés partout. À partir de là, proposer une troisième voie ne nécessitait que de prendre contact avec ces mécontents.

Le réseau d'Edmund a été long à construire, mais il était efficace et solide, chaque membre avait ses propres motivations, plus fermement ancrées que n'importe quelle loyauté basée sur l'argent ou le patriotisme. M. Edmund est certain qu'il gagne aujourd'hui parce qu'il a su jouer les uns contre les autres, réunir sous une bannière tous ceux qui refusaient le système et n'avaient aucun espoir de le modifier par eux-mêmes. Et parce que ceux qu'il voulait détrôner ont créé eux-mêmes les instruments de leur ruine.

Il aurait sans doute pu arriver à ses fins sans les Techs. Mais ça aurait pris des dizaines d'années de plus ; le temps de saper de l'intérieur la bureaucratie de l'Alliance et celle de la SRAM, le temps de les pousser dans le vide, effondrées par leur propre poids et leurs dissensions internes. Ça aurait été le chaos bien trop longtemps. Non, les Techs ont été le plus précieux des outils par leur seule existence, qui a affolé tout le monde et remis en question le fragile équilibre en place. Et une fois qu'ils se seront tous rendus à lui, rien ne sera impossible.

Les Techs - Tome 1 : les secrets du LaboratoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant