Partie 92 : le procès

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Ces mots ne plaisent pas à tout le monde, mais ils restent à peu près calmes. Choy ajoute :

— Commençons par le commencement. Pour l'instant, nous allons déjà établir si ça a le moindre sens de parler à Betsie et de négocier avec elle comme avec n'importe quel être humain. Adams, c'est toi qui affirmais parler au nom de tous en nous expliquant pourquoi les Techs ne peuvent pas être humains. À toi de commencer, explique-nous ton point de vue.

— Merci, Choy.

L'homme s'empare du mégaphone avec avidité. Celui-ci est assez sensible pour que la salle entende bien tous ceux qui sont sur l'estrade, mais symboliquement c'est celui qui l'a en main qui a la parole et tout le monde le sait. Il regarde à peine la Tech, concentré avant tout sur le groupe qu'il tente de convaincre en mettant toute son emphase dans ses affirmations :

— C'est très simple, en vérité. La SRAM a trouvé le moyen de créer des ordinateurs biologiques, qui peuvent contrôler le monde. Face à cette abomination, nous n'avons que deux alternatives : les pirater ou les détruire. Elle leur a même donné un visage humain pour mieux nous tromper. Et ça marche ! Certains ici ont eu le culot, ou la stupidité, de ramener cette chose parmi nous pour lui donner la parole ! Si c'est pas...

Choy le coupe doucement :

— Des arguments, s'il te plait. Nous en sommes à la première question : pourquoi Betsie ne serait pas humaine ?

Adams grimace et, toujours face au groupe, explose :

— Parce qu'elle est tech, voilà pourquoi ! Personne ne peut croire ici que quelque chose qui pense comme un ordinateur et qui communique avec les ordinateurs n'est pas un ordinateur ! Et un ordinateur, ça obéit à son programme, ce qui en fait une créature de la SRAM !

2, d'abord interloquée par l'accusation, bouillonne de plus en plus. Elle demande à Choy :

— Comment on réclame la parole ? Tu as dit que j'avais le droit de parler, non ?

— Dès qu'Adams a fini, ce sera ton tour.

— Ah mais je t'en prie, persifle Adams en lui tendant le mégaphone, essaye. Essaie seulement. Nous connaissons tous ta nature ici, et il n'y a rien à débattre.

La jeune fille s'empare du mégaphone tout en le foudroyant du regard. Cette colère chasse au moins un peu de sa nervosité. Tout est fait, dans cette situation, pour la déstabiliser. Elle est prisonnière, face à des inconnus, on lui promet une alliance avec des gens du même bord qu'elle, puis on se permet de lui faire un procès sur son humanité. Et elle n'aime pas l'angoisse qui la saisit à l'idée de ne pas être assez préparée, de ne pas pouvoir convaincre. Alors qu'ils n'ont aucun droit de lui dire qu'elle n'est pas ce qu'elle est. Mais s'ils en sont à poser une question aussi stupide, très bien, autant profiter de cette occasion pour reposer les bases :

— Je suis humaine, faite de cellules vivantes, codées par de l'ADN humain. Je pense, je perçois et je ressens, je sais parler et comprendre. Personne ne m'a programmée pour ça. On m'a élevée, pendant que je grandissais, comme n'importe qui. Oui, je suis capable de faire fonctionner un programme par la pensée. Je vous signale que vous le faites tous. Vous avez juste besoin d'appuyer sur des touches. S'il y avait des interfaces pour traduire vos pensées directement dans la machine, vous resteriez humains.

Elle se tait. Choy lui demande :

— Tu as fini ?

— Je pourrais parler encore après ?

— Oui, tu as un droit de réponse.

— Alors c'est tout ce qui me vient pour l'instant. Je ne sais pas comment me défendre face à vous, je ne sais pas ce que vous avez en tête, pour qui ou pour quoi vous me prenez. Je n'étais pas préparée. Mais je veux me défendre moi-même. Nous les Techs nous avons pris nous-mêmes nos décisions. C'est ma petite sœur 5 qui a décidé de lancer le message qui a saturé le Réseau pendant les manifestations. Et c'est moi et mon petit frère 6 qui avons décidé de désobéir au Président Robertson pour sauver les habitants des Ghettos.

— Justement ! s'exclame Adams.

Il s'empare à nouveau du mégaphone et Choy le laisse faire. Il poursuit :

— Nous avons les versions officielles, mais rien ne prouve qu'on ne leur a pas donné un contre-ordre en douce ! Ils ne prennent pas leurs propres décisions, ils suivent ce pour quoi ils ont été créés !

Nora tente de lui reprendre le mégaphone, qui sous les mouvements violents siffle atrocement. Choy lui fait signe de laisser Adams parler et elle abandonne tout en le foudroyant du regard. La foule proteste et le bruit envahit rapidement l'espace, jusqu'à ce que Choy frappe encore le gong. 2 demande à Choy :

— Je peux avoir mon droit de réponse ?

— Bien sûr, dès que lui et Nora auront fini de parler.

— Mais, si je ne suis pas humaine, qui m'aurait donné un contre-ordre ? Et pour quoi faire ?

— Pour nous infiltrer avec leurs sales robots techs ! hurle Adams.

— Si je voulais m'infiltrer, pourquoi j'aurais dit à tout le monde que je suis Tech ?

— Il y a un but. Nous savons que la SRAM veut toujours plus de puissance. Les Techs lui en offrent en se faisant adopter par l'Alliance. Ce sont des armes et des machines, ils ont été créés par la main de l'homme. Cette chose tech n'a que l'apparence d'une fille ! Qu'on la coupe en deux et on verra bien ce qu'il y a à l'intérieur !

— Attends, intervient Moose, tu ne tiens pas du tout compte de ce qu'elle t'a expliqué tout à l'heure.

— Des mensonges !

— Mais non, enfin... Bon, je peux avoir le mégaphone ? Merci... Bon, alors, heu, je rappelle à ceux qui ne le savent pas que j'espionne la SRAM depuis un bon moment et que je suis biologiste. Et c'est pour ça que je suis sur l'estrade, je crois. L'autorité de référence, vous voyez. Et je vous confirme que le tech vivant n'est pas différent de n'importe quelle cellule normale. Les animaux techs sont parfaitement normaux. À part qu'ils peuvent faire réagir la matière tech. Mais bon, si on juge pour ça, alors c'est comme quand on brûlait les sorcières parce qu'elles essayaient de soigner les gens. Croyez-moi, les Techs humains sont humains. Leur mettre de l'informatique sous le crâne ou ce genre de choses, ça ne serait juste pas possible. Et si on la coupe en deux, on y trouvera exactement les mêmes organes qu'en chacun d'entre nous.

— C'est une machine qui sait se faire obéir par les machines ! persiste Adams.

— Déjà dit, tranche Choy.

Il a repris le mégaphone à Moose et le tend à présent à Nora. Qui avait pourtant demandé à parler en premier. 2 se sent de plus en plus perdue, tandis que Nora attaque immédiatement par :

— Tes arguments sont ridicules, Adams, tu es complètement en train de bloquer la situation et tu le sais. Si tu n'es pas capable de définir quelque chose à reprocher réellement à Betsie...

— Argumente, dit Choy.

— Argh, désolée... Enfin, ce que je veux dire, c'est... Pour moi, c'est évident que les Techs sont humains. Ils ont du libre arbitre. À la limite, même s'ils avaient un ordinateur sous le crâne, rien que ce côté de libre arbitre est une preuve qu'il faut les convaincre de nous rejoindre.

La jeune femme, tout comme Adams, regarde le groupe avant tout. Mais comparée à la ferveur de son opposant, sa voix un peu tremblante n'est pas celle d'une brillante oratrice. Au moins, elle semble à peu près soutenir 2, ce qui n'était pas si flagrant pour la Tech quelques minutes auparavant, et elle en est soulagée. Elle a des alliés sur place, et même si Choy joue le juge impartial, il force le système lui-même à la protéger contre les HR qui pensent comme Adams.

Les Techs - Tome 1 : les secrets du LaboratoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant