Partie 97 : passer à l'action

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Pour la centième fois au moins, 1 fait ses comptes.

Lui. Libre, accompagné de Sanx, mais bien repéré par Edmund qui a sans doute un moyen de surveiller ses faits et gestes. Arrivé à l'aéroport, il peut prendre en otage beaucoup de monde avant que son ennemi ne puisse faire quoi que ce soit.

2. Prisonnière d'on ne sait pas qui, vraisemblablement des HR, on ne sait pas où. Mais 1 aurait tendance à considérer qu'elle est la prisonnière d'Edmund : si ce n'est pas lui qui a mis la main sur elle, il ne va sans doute pas tarder à la retrouver.

3. Sortie du Ghetto d'Ambton par miracle — et en pensant à la façon dont ses sœurs ont orchestré ce miracle, 1 ne peut s'empêcher de ressentir une bouffée d'orgueil parfaitement illégitime — et libre.

4. Sorti du Ghetto et libre, il s'est entiché d'un acteur richissime qui pour le moment se donne du mal pour le protéger.

5. Sortie du Ghetto et libre, même si elle tient à garder avec elle un gamin sans doute dangereux.

6. Prisonnier volontaire d'Ève Hindgam, qui travaille pour Edmund.

7. Sous la surveillance de Breda Carson, elle est sans doute hors de portée d'Edmund, malgré le silence inquiétant des ordinateurs techs de l'appartement.

Les professeurs. Prisonniers d'Edmund, sans doute depuis des années.

Les autres membres du laboratoire. Impossible de dire qui obéissait à qui, entre Edmund, la SRAM et l'Alliance, mais chacun est sans doute retourné dans son camp. 1 a une brève culpabilité à l'idée qu'il n'a pas cherché à les joindre, eux qui les ont pourtant élevés tous les sept. Peut-être par peur de subir leurs regards accusateurs à cause des morts du laboratoire. Ou peut-être par méfiance. Tant qu'il ne saura pas qui est avec qui, il ne pourra pas leur faire confiance.

Les HR. Au moins ils n'appartiennent pas à Edmund. Mais ils ne sont pas du côté des Techs pour autant. Quoiqu'ils le pourraient, si les Techs ouvraient les portes des Ghettos et rendaient la technologie tech accessible à tout le monde. Une aide précieuse à envisager.

Les gens. Dominés par la SRAM à cause de leur utilisation de la matière tech, ils obéissent aux lois et s'en sortent de leur mieux dans leur petite vie. Leur opinion compte beaucoup pour l'Alliance, mais au final aucune chance pour qu'ils s'impliquent dans la bataille. Et ils sont tous à sa merci.

Bref, au moins quantitativement, 1 est en meilleure position qu'Edmund. Il ne lui reste plus qu'à déclencher la guerre. Un geste tellement en opposition avec ses principes, son éducation et son caractère qu'il ne peut pas se résoudre à l'accomplir, sans parvenir pour autant à trouver une meilleure solution.

Sanx a attendu patiemment qu'il se décide et a discuté cent fois avec lui de chaque aspect de son plan. Maintenant, il s'allonge théâtralement sur les sièges de l'aéroport en soupirant :

« Je dors. Préviens-moi quand tu te décideras.

1 aurait bien envie de lui rétorquer que c'est facile, pour lui, d'attendre et de faire des commentaires. Ce n'est pas lui qui portera cette responsabilité. Ce n'est pas lui qui avouera un jour à ceux qui l'ont créé et élevé : oui, j'ai pris en otage des milliers de personnes, mais c'était pour de faux. Non, je n'ai rien trouvé de mieux pour accomplir mon devoir. Je sais que c'était mon rôle, mais je n'ai pas réussi. J'ai dû tricher.

Derrière ce ressentiment superficiel, il ne peut pas se cacher qu'il sait très bien que peu importe la forme, l'essentiel est qu'il réussisse. 2 l'a bien comprit. Elle n'a pas hésité à jouer le jeu et à faire passer les Techs pour des machines de guerre, car c'était le moyen le plus efficace pour sauver les habitants des Ghettos d'un assassinat collectif. Il y avait d'autres moyens qui auraient préservé son illusion d'agir dans les règles, mais ils étaient tous longs et compliqués donc risqués, et elle a choisi le meilleur. Une fois de plus, 1 se demande pourquoi ce n'est pas 2 l'aînée. Il lui semble qu'elle s'en sortirait bien mieux que lui.

Mais elle n'est pas là et qui sait ce qu'elle est en train de subir pendant qu'il hésite...

— Sanx ?

— J'ai pas bougé.

— On y va. »

D'un geste souple l'adolescent se remet sur ses pieds, un sourire carnassier aux lèvres. Il ne veut pas rater une miette de la suite.


Il est important, selon 1, de ne pas traumatiser inutilement la foule. Il sépare donc en deux le système d'information à l'extérieur et à l'intérieur de l'aéroport. À l'intérieur, une fausse alerte à la bombe incite les passagers et le personnel à aller dans les refuges aménagés dans ce but et à attendre patiemment que l'alerte soit levée. À l'extérieur, toutes les caméras de sécurité, les systèmes d'alarme, la police et les médias reçoivent un message tout différent : des terroristes HR non identifiés ont pris en otage les vingt-six mille clients et membres du personnel de l'aéroport, la plus grande prise d'otage de l'Histoire.

Au milieu du tumulte, tandis que des agents de sécurité tentent de calmer la foule paniquée et de l'empêcher de sortir par les portes, 1 et Sanx restent assis. Le Tech a la main plaquée sur le fil d'or du Réseau qui circule dans toute la salle et il est au centre des opérations bien plus efficacement que s'il avait pris possession du bureau du directeur. Il appelle les agents de sécurité vers d'autres priorités que la petite salle d'attente qu'il occupe, les derniers passagers s'enfuient en suivant le signal lumineux, et il peut verrouiller les portes : ils sont tranquilles. Pour son compagnon il affiche sur le panneau publicitaire géant le déroulement des opérations, vue interne et vue externe : la peur plus ou moins contrôlée des passagers face à l'hystérie des médias.

— Tu devrais signer la prise d'otage, dit Sanx.

— Quoi ?

— Si tu veux vraiment libérer les HR, vaut mieux qu'ils n'aient pas toute la populace à dos. Dis que ça vient de quelqu'un d'autre. Quelqu'un que tu n'aimes pas des masses. Du genre...

— Mais jamais Edmund ne signerait une prise d'otage !

— Alors la SRAM. Tout le monde déteste la SRAM. Fais courir des rumeurs sur le Réseau comme quoi ils bloquent le périmètre pour récupérer les échantillons d'une expérience peut-être contagieuse. Genre, des pauvres sur lesquels on a testé des armes bactériologiques techs.

— Mais personne ne peut croire à quelque chose d'aussi ignoble !

— Venant de la SRAM ? Tu rigoles ? Bien sûr que tout le monde y croira. Et tout le monde attendra qu'elle dépèce en place publique le petit rigolo qui a osé les dénoncer sur leur propre Réseau, d'ailleurs.

Absorbés par leur discussion et par les manœuvres de 1, ils ne se sont pas aperçus que la salle barricadée n'était pas tout à fait vide. L'ordre d'évacuation a surpris les deux équipes que M. Edmund a chargées de surveiller le Tech, les agents en civil ont suivis la foule tandis que les autres étaient repoussés comme des mouches du système de sécurité tech. Malgré tout, le matériel non-tech dont ils disposent leur a permis de situer assez précisément la position des deux garçons et de masquer l'un de leurs agents, resté avec eux pour les surveiller. La sécurité de l'aéroport brouille toutes les communications, mêmes non-techs, et l'agent a en vain tenté de recevoir des instructions. À présent qu'elle voit la situation s'étaler sur le panneau, elle est prête à prendre l'initiative d'intervenir. L'essentiel, c'est de neutraliser le Tech avant qu'il n'ait le temps de se rendre compte de ce qui lui arrive... lorsqu'il est lancé dans le Réseau, son corps est un point faible qu'elle compte bien exploiter. Pour l'agent Hanga, les deux équipes d'intervention ont fait preuve de trop de frilosité concernant le Tech. Certes, il valait mieux qu'il accepte de lui-même de s'allier au patron, mais sa toute-puissance tech ne devrait pas masquer le fait qu'il s'agit d'un gamin et que la force brute peut donner d'excellents résultats sur lui.

Il y a cinquante mètres entre sa cachette et ses deux cibles. Ils sont concentrés sur ce qu'ils font ; si elle est suffisamment discrète, elle pourra se rapprocher assez pour assommer 1. Sinon, elle devra tirer. Beaucoup, beaucoup trop risqué... Mais moins que d'espérer qu'une meilleure occasion se présente. Silencieuse comme un souffle, elle se rapproche peu à peu...

Les Techs - Tome 1 : les secrets du LaboratoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant