Partie 37 : chacun attaque sa mission

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2 déteste laisser 6 toute la journée avec Andrew Burther. Elle trouve cet homme sournois, obséquieux, stupide, et a du mal à se retenir de s'essuyer la main après avoir serré la sienne. Mais elle ne pense pas qu'il ferait du mal à son frère tant que les deux Techs restent en contact par le Réseau : il a trop peur d'elle. Elle peut veiller sur 6, même à distance. Toujours veiller, surveiller, protéger. Elle se demande quand est-ce qu'elle pourra passer un moment avec son petit frère simplement pour le plaisir de passer un moment ensemble. Plus tard, tout est prévu pour plus tard. Et le « comment » manque cruellement.

C'est sa première journée de travail en tant que garde du corps présidentiel. Elle fait connaissance avec ses collègues. Ou plutôt elle fait connaissance avec une foule de personnes qu'elle devra côtoyer toute la journée. Elle s'abstient de leur dire qu'elle les connaît déjà, puisqu'elle a fouillé dans les programmes les plus protégés de l'Alliance, et surtout qu'elle sait que les rapports de pouvoir ne sont pas ceux qu'ils paraissent être. D'ailleurs elle n'a encore exploré qu'une partie de l'immense territoire doré qui l'intéresse, et attend de connaître précisément la hiérarchie et les règles officieuses avant de se fier à ces gens.

Le Premier ministre Jaôme Kanrish connaissait leur existence, elle est sûre. Absolument rien ne l'évoque dans ses fichiers mais il y a un trou. On a récemment effacé quelque chose de très gros et de très important et de nombreuses données ont été transférées sur des ordinateurs binaires. Il a protégé des informations contre les Techs. Il sait donc ce qu'ils sont et quels sont leurs pouvoirs, il le savait avant que le B.A.G.N. ne le déclare dans son rapport, mais il n'a déménagé ses dossiers que lorsque les autorités ont découvert que les Techs étaient sortis de l'île. Oui, elle se méfie de M. Kanrish, de ses costumes impeccables et de ses sourires si chaleureux et apparemment si sincères. C'est un homme froid et hautain, il n'y a qu'avec qu'elle qu'il est aux petits soins. Et d'après différents dossiers, la manière dont il a trahi son propre camp politique pour devenir Premier ministre fait froid dans le dos.

2 se demande si elle arrive à donner le change et à lui faire croire qu'elle ne le trouve pas suspect. Elle se découvre de nouveaux talents de dissimulation chaque jour. Elle ne détesterait pas tant mentir si elle n'avait pas en permanence la peur de se faire prendre. Elle refuse de leur faire confiance plus que le strict nécessaire... mais n'est-elle pas bien trop présomptueuse de vouloir mener sa barque seule dans les méandres des jeux de pouvoir ? Elle ne voit pourtant que deux solutions : obéir les yeux fermés ou obéir en veillant au grain. Autant veiller.

Son uniforme la gêne, elle qui a toujours porté des vêtements amples et doux taillés sur le modèle pantalon/tee-shirt. La garde présidentielle porte un costume d'apparat bien spécifique et différent des classiques costumes trois-pièces des autres gardes du corps. Pour son premier jour, on lui épargne la visite protocolaire de plusieurs éminents invités, mais elle suit John Robertson dans ses déplacements et reste debout derrière lui quand il est assis à son bureau. Elle observe discrètement, grâce aux caméras techs, comment se comporte l'autre garde du corps, le vrai, et tente d'imiter sa posture assurée et sa mine impassible. Évidemment, puisqu'elle mesure trente centimètres de moins et n'atteint pas la moitié de son gabarit, ils forment un duo assez comique. Mais elle l'imite quand même.

De temps en temps l'autre garde du corps est remplacé par sa copie conforme. Pour les déplacements ils sont toute une escouade, pour le travail en intérieur on estime que deux suffisent, principalement là pour la galerie. Pour la jeune fille, ce travail est vraiment un rôle de potiche, sans doute la potiche la plus chère de tout le palais présidentiel. Et la première à laquelle on prête autant d'attention. Tout le monde a un petit mot aimable pour elle, se présente, lui serre la main... Même si elle était parfaitement compétente en protection rapprochée, ce va-et-vient l'empêcherait de remplir son devoir. Heureusement, personne ne le lui demande puisque le Président ne peut pas être en danger ici.


1 et 7

38 rue Lexton. 1 dit au revoir à Sid qui s'éloigne tranquillement, apparemment sans se vexer de ne pas avoir été invité à entrer. Le numéro correspond à une grande maison dont la forme est plutôt déconcertante. Elle est bardée de systèmes de protection. Des systèmes techs.

Ils entrent.

L'intérieur est tout aussi étonnant que l'extérieur pour 1, plus habitué à un décor bétonné et fonctionnel qu'à cette myriade de couleurs et de formes inutiles. Tout est d'une propreté aseptisée bien différente de la masure de Freddy et Telmina ou du foyer. Le jeune homme s'avance malgré tout d'un pas assuré pour ne pas inquiéter davantage 7. Au bout du couloir il trouve une cuisine immense et plus chaleureuse, à moins que ce soit le fait de retrouver de familiers carreaux blancs qui donne cette impression aux deux Techs, ou la présence chromée de tous ces instruments. La fillette lâche même la main de son frère et grimpe sur un des hauts tabourets tournants.

Soudain retentit une musique tonitruante qui les fait sursauter tous les deux. 7 se retrouve dans les bras de 1 avant même d'avoir compris ce qui leur arrivait.

Du calme lui envoie 1 avec ses ondes mentales les plus apaisantes alors que son cœur bat encore la chamade sous le choc, ce n'est que de la musique. Reste là, je vais voir.

Pas de discussion. Il a un homme à trouver et à interroger. 7 sera en sûreté dans cette cuisine aux nombreux outils techs. Il vérifie qu'elle est prête à tenir le coup et à l'attendre sans paniquer, il donne un dernier tour d'horizon avec le système de sécurité — personne n'a l'air de vouloir entrer — et monte à l'étage, vers l'origine du bruit.

L'angoisse monte en lui graduellement. De quoi aura l'air sa première piste ? Va-t-il falloir se battre ? Si l'autre refuse de répondre, jusqu'où 1 peut-il, jusqu'où doit-il aller ? L'envie de faire demi-tour et de s'enfuir avec 7 est de plus en plus forte. Tout laisser tomber, se cacher et attendre...

Mais ils comptent tous sur lui, n'est-ce pas ?

1 continue à monter.

Il arrive devant une porte barrée de signes tribaux. Il hésite à frapper et finalement l'ouvre sans prévenir. À l'intérieur, quelqu'un danse au son de la musique assourdissante, quelqu'un qui lève les yeux vers lui et baisse le son de la stéréo tout en lui lançant un sourire charmeur.

« Salut ! dit l'apparition.

C'est un homme, jeune d'après la voix, peut-être même plus que 1. Difficile à dire avec plus de précision : son visage est presque masqué par son maquillage, aux couleurs si pâles qu'il en semble presque blanc, les yeux et les lèvres offrant un savant mélange de mauve et de noir, percé et orné d'un petit tatouage sur la pommette gauche. Le reste de sa tenue est constitué de cuir épais et de tissus techs à l'apparence fragile, tout en noir.

1 a vu au foyer certains adolescents qui arboraient des piercings et des vêtements de ce genre, mais ça les faisait paraître plus vieux et plus dangereux, plus effrayants aux yeux du Tech. Celui-ci lui paraît magnifique, d'un aspect soigneusement travaillé pour être d'un esthétisme parfait, une œuvre d'art qui ne serait plus humaine sans l'attitude accueillante du jeune homme. 1 met quelques secondes à revenir de sa surprise et quelques autres pour se rappeler qu'il est sur la piste d'un tueur ou d'un complice de tueur. Le temps nécessaire pour l'autre de prendre la pose, puis d'éclater de rire avant de dire :

— Et bien, tu es juste venu pour me regarder ? Allez, entre.


Les Techs - Tome 1 : les secrets du LaboratoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant