Chapitre 3

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Un homme d'une cinquantaine d'années se tient devant la porte, les bras croisés sur son ventre rebondi. Il a le visage rouge, tourné vers Noam et ses yeux lui jettent des éclairs. Son crâne est rasé sur le dessus, ce que – personnellement – je trouve tout à fait immonde. Mais peut-être est-ce tendance ici ?

Instinctivement, je replace une mèche de cheveux derrière mon oreille, sans savoir vraiment pourquoi.

Le blond à côté de moi se tend, prêt à répliquer, mais le nouveau le coupe avant qu'il n'ait pu prononcer un seul mot.

-Vous trois, lance-t-il sèchement, suivez-moi dans mon bureau. Maintenant. On va avoir une petite discussion, toi et moi, crache-t-il à l'intention de Noam.

Hunter m'interroge du regard une question – « que fait-on? » – à laquelle je hausse les épaules. Au fur et à mesure des semaines passées dans le vaisseau, à nous entraîner et à devoir supporter Trevis, nous avons appris à communiquer sans parole.

Déjà, Noam et l'homme se dirigent vers la sortie de l'arène. Alors je leur emboîte le pas, Hunter à ma droite. L'inconnu nous fait marcher dans un dédale de couloirs, nous fait tourner à notre gauche, puis à droite, avant de continuer tout droit. Etrangement, cela me rappelle mes premiers jours au Parcours, quand je ne me repérais pas encore dans ce labyrinthe de corridors.

Alors que nous poursuivons, une centaine de questions traversent mon esprit : qui est cet homme ? Que nous veut-il ? Et que veut Noam ? Je ne pensais pas que l'endroit où nous nous trouvons était aussi grand, mais cela fait à présent dix minutes que nous nous déplaçons et nous ne semblons pas encore être arrivés. Un soupir s'échappe de ma bouche. Mes muscles commencent à me faire mal, suite à mon combat de tout à l'heure, mais j'essaie de ne pas y penser.

L'homme s'arrête – enfin – devant une porte gris métallique et se tourne vers nous.

-Vous deux, nous indique-t-il à Hunter et moi, restez ici. Noam, je dois te parler avant.

Ils pénètrent dans la pièce alors que le brun et moi échangeons un regard interrogatif. Puis je me laisse glisser au sol, peu soucieuse des bonnes manières, la douleur dans mes membres étant toujours présente.

-C'était pas mal, pour un premier combat depuis des lustres, non ? sourit Hunter, brisant le silence présent.

Je me contente d'acquiescer en silence avant de porter mon attention sur ce qui nous entoure. Une douleur nouvelle s'est installée dans ma tête, tapant comme un boxer sur un sac de frappe. Mes yeux balayent le couloir sombre, avant de s'arrêter sur un panneau à dix mètres de moi, où il est écrit « FAIRE L'IMPASSE SUR LA DOULEUR »

Je fronce les sourcils en lisant ces mots. « Faire l'impasse sur la douleur. » C'est-à-dire, accepter la douleur telle qu'elle vient, la laisser nous consumer petit à petit, comme cela, sans rien faire ? Je ne suis pas d'accord. Sur Neuf, on m'a toujours appris à ne pas penser que l'on a mal, à l'ignorer jusqu'à ce qu'elle parte.

La porte s'ouvre soudainement, me faisant sursauter. L'homme et Noam apparaissent ; le premier un grand sourire aux lèvres alors que le second a la mine renfrognée.

-Bien ! Je pense que tout ça est réglé. Vous pouvez disposer. Et, Birgam, n'oublie pas ce que je t'ai dit, ajoute-t-il avant de fermer la porte.

Un silence mortel s'abat dans le couloir.

-On ne t'a pas attiré d'ennuis, au moins ? m'enquis-je

Ma voix résonne dans le corridor, rejointe par le rire d'Hunter.

-« On » ? C'est de sa faute, pas la notre !

-Hunter !

-Laisse, Brume. Il est encore contrarié d'avoir perdu – ça se comprend.

-N'importe quoi, proteste le brun, mais l'autre ne lui laisse pas le temps de poursuivre.

-Je connais ce sentiment assez bien, pour l'avoir ressenti assez longtemps, continue le blond.

-Ah ouais. Et maintenant tu l'as encore, vu que Brume t'a battu.

Une tension électrique circule dans l'air entre les deux garçons. Je le vois rien qu'aux regards noirs qu'ils s'échangent. Un sourire moqueur s'esquisse sur le visage de Noam.

-Je t'ai vaincu toi, c'est déjà pas mal.

Les yeux d'Hunter lancent des éclairs, à présent.

-Va falloir que tu arrêtes de te croire au-dessus de tout le monde, blondinet, lui lance-t-il, les mâchoires contractées.

Sans se répartir de son rictus, Noam s'approche de lui. Mon ami serre les poings, et là, je me rends-compte que je ferais mieux de les arrêter avant qu'ils n'en viennent aux mains. Encore.

-OK, stop, les gars. Stop ! m'interposé-je alors qu'Hunter s'apprête à répliquer. Vous êtes vraiment de vrais gamins. (Je les regarde à tour de rôle, afin d'être sûre qu'ils m'écoutent.) Comment est-ce qu'on retourne à nos chambres ? demandé-je en me tournant vers Noam.

Celui-ci soupire, et jette un coup d'œil venimeux à mon ami.

-Suivez-moi.

++++

-Le dîner sera servi dans trois heures, nous apprend le blond, une fois devant nos quartiers. Normalement, je dois vous retrouver ici et vous indiquer où nous mangerons. Ne soyez pas en retard. Ici, c'est très mal vu.

Son sourire narquois s'est enfin échappé de son visage, et il a repris une expression hautaine, comme il y a quelques heures, lors de notre rencontre. Il est redevenu froid, distant. Il est redevenu notre « conseillé », celui qui doit tout nous apprendre sur Terre.

Je n'ai pas encore décidé quelle facette je hais le plus entre celles qu'il nous a montré aujourd'hui. Il y a une différence entre la supériorité qu'il affiche et sa haine envers Hunter, et aucune des deux ne me plaît. J'espère qu'il possède d'autres côtés, plus aimables peut-être...

Le garçon brun claque la porte de sa chambre, et je fais de même. On m'a déplacée de la pièce où je me suis réveillée, et pourtant je distingue les mêmes similarités : un lit aux draps blancs, des murs impersonnels, clairs, pas de fenêtre donnant sur l'extérieur. Alors que je me retrouve seule dans cette pièce, un sentiment de claustrophobie m'envahit : j'ai l'impression d'être dans un cachot.

Certes, au Parcours, nous étions sous la terre, mais là, au moins, je savais où j'étais exactement. Et puis, il y avait toujours un moyen afin de remonter vers la surface. Comme l'endroit où j'allais observer les étoiles avec mon ami Ethan... Mon cœur se serre, et je secoue la tête afin de chasser ces pensées. Ce n'est pas le moment de se ressasser tout cela.

Je marche dans la pièce, qui forme un carré parfait, et remarque un tableau – un seul – accroché à un mur. Curieuse, je m'approche afin de le déchiffrer.

Des colonnes s'offrent à moi, avec à leur gauche des heures, et sur tout le reste de la surface, des mots comme « école », « entraînement », « étude ». Mon nom en haut du panneau m'indique qu'il s'agit de mon emploi du temps. Mais... « école » ? Sur Neuf, j'en avais terminé avec cela, et je pensais que ce serait la même chose ici. Cela me paraissait légitime.

Je réalise soudain que je ne connais rien à cette planète, sa façon de fonctionner, ses rites, pas même son aspect. Je n'ai pas vu la surface de la Terre une seule fois de mes yeux, et je suis curieuse de voir à quoi elle ressemble. Curieuse de voir si mes parents avaient raison de vouloir absolument venir.

Mais l'heure n'est pas aux questionnements sans réponse. Je coule un regard vers mon lit, et automatiquement un bâillement s'arrache de ma bouche. Mon combat contre Noam Birgam m'a épuisée – cela faisait longtemps que je ne m'étais pas battue ainsi. Depuis mon départ de Neuf, en fait...

Je m'allonge sur mon lit, mes muscles endoloris me faisant mal. Et je m'assoupis aussitôt.

TERRIENNE (édité)Where stories live. Discover now