Chapitre 2

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Les jours passent, avec une infinie lenteur. Chaque matin, je me lève en pensant au Parcours. Je pense, je vis avec l'idée d'aller enfin me battre, montrer que je peux être comme eux, comme les gens de Neuf. Je veux également prouver à ma mère que j'ai grandi. Mais tout au fond de moi, l'idée de la quitter me terrifie.

Je me réveille avec une boule au ventre. Je passe mes jambes par-dessus ma couverture et je me lève, plongée dans le noir. Un nœud dans mon estomac m'empêche d'avaler quoi que ce soit, et je prends la direction de l'école le ventre vide. Tant pis. De toute manière, c'est bénéfique ; nous n'avons pas beaucoup de bouillie chez nous, et sauter un repas la garde pour plus tard. L'école n'est qu'à quelques minutes de là où j'habite, j'arrive donc rapidement dans l'enceinte. Les couloirs sont bondés de jeunes gens d'âges différents. Les plus âgés sont ceux qui n'ont toujours pas été dits « aptes » à partir au Parcours. Moi, j'y pars à quinze ans. Il paraît que c'est jeune pour y aller.

Je rejoins ma salle de cours en traînant des pieds. Une chose ne va pas me manquer lorsque je serai partie au Parcours : l'école. Je m'installe au fond de la classe blanche et impersonnelle. Je ne suis jamais les cours - même s'il paraît que je suis intelligente -, encore moins aujourd'hui. C'est le dernier jour que je suis ici, alors à quoi bon ?

Après les cours, lorsque je serai rentrée chez moi, je disposerai de quelques temps pour dire au revoir à mes parents avant de partir dans les entrailles de Neuf, où se déroule le Parcours. A partir d'aujourd'hui, je vais pouvoir combattre, faire le Parcours, et donner de l'argent à mes parents. Je veux qu'ils soient fiers de moi. Je veux leur prouver que je ne suis pas une incapable.

Beaucoup d'enfants ont peur de leur premier Parcours. Ils ne veulent pas quitter leur famille, devoir combattre. Moi, cela ne me fait pas peur. J'ai plutôt hâte, même. Depuis que je suis toute petite, en âge de regarder le Parcours, j'ai envie d'y participer. J'aimerais être forte comme ceux que l'on voit à travers les écrans de télévision. J'aimerais savoir me battre comme eux. Ils m'impressionnent.

Les adolescents sont envoyés au Parcours lorsqu'ils sont déclarés « prêts ». Ils y restent jusqu'à leurs vingt-deux ans, âge de la « Sagesse », comme on l'appelle chez nous. La majorité, en somme. Ensuite, comme nous avons été formés pour différentes choses avant de partir, on choisit un métier qui nous correspond. Jusqu'à ce qu'on rencontre quelqu'un, nous sommes gardés dans les entrailles de Neuf. La première personne que l'on rencontre, que l'on embrasse, est notre « deuxième partie », la personne avec qui on termine notre vie. Dans mon école, certains râlent à cause de ça. Ils ne trouvent pas cela normal. Il y en a qui disent qu'il faudrait changer cette règle. Parce que, je cite, « Si on embrasse quelqu'un que l'on aime pas, on devra vivre toute notre vie avec ! » Moi, cela me paraît correct. A dix-neuf ans, je pense que l'on est assez dégourdi pour savoir qui embrasser. Il suffit juste de trouver la « bonne personne », comme me le rappelle ma mère.

Ma mère.

Rien que le fait de penser à elle, que je vais la quitter, me met un poids sur l'estomac. Elle est la personne en qui j'ai le plus confiance. La seule personne, même. Je ne veux pas qu'elle reste seule. Bien-sûr, il y a mon père, avec elle. Ils s'aiment. Mais il est plus accaparé par son travail que chez nous. J'ai peur pour ma mère. Je ne veux pas qu'elle soit triste ; elle ne le mérite pas. Elle a tout sacrifié pour moi, en allant jusqu'à partir de son travail pour venir à mon chevet lorsque je suis malade.

-Brume Jewells.

La voix de mon professeur m'a fait sursauter, et je me redresse en rougissant.

-Pouvez-vous répondre à la question ?

J'en suis incapable. Je déglutis faiblement, la bouche sèche. Ce genre de choses m'arrive fréquemment ces temps-ci. J'écoute peu, trop occupée à penser au Parcours.

TERRIENNE (édité)Donde viven las historias. Descúbrelo ahora