Chapitre 3

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J'attrape mon sac et je me lève, les genoux tremblants. C'était mon dernier cours. Le tout dernier avant que je parte pour le Parcours. Personne ne semble le remarquer, mais mon visage est pâle. Même si je me répète en permanence que tout va bien se passer. Que ce n'est rien.

Meo et Beea sont déjà dehors lorsque je les rejoins. Elle me prend dans ses bras pour me serrer fort.

-Ça va aller ? m'interroge Meo. Tu viendras nous voir après ton premier Parcours, hein ? Pour nous raconter comment ça se passe.

Après chaque Parcours, on a le droit de voir notre famille et nos amis, durant un jour.

Je me défais de l'étreinte de Beea et reprends mes esprits. Tout va bien. C'est comme si je partais en... Comment dit-on, déjà ? C'est une expression qu'ils utilisent sur Terre, à ce que ma mère m'a dit.

-Promis. Je dois y aller.

-Fais gaffe à toi.

Je hoche la tête et m'éloigne sur la route déserte. Je respire doucement, même si mon rythme cardiaque est élevé. Mon cœur est comme remonté dans ma gorge, alors que je me répète en boucle que tout ira bien. Lorsque je serai chez moi, pas question de paraître faible devant ma mère. Je veux lui prouver que je ne suis plus une petite fille. Mes jambes tremblent, et arrivée chez moi, je dois m'appuyer contre la porte en métal avant de rentrer. Il n'y a personne. Tant mieux.

+

Je suis face au miroir. Mon reflet me renvoie l'image pâle d'une fille blonde, petite. Ses yeux sont d'un noir perçant. Son corps est sans forme — pas de hanches, de poitrine, ni même de muscles. Je soupire et attrape un élastique pour attacher mes mèches. Je ne m'aime pas. Certaines filles voudraient avoir un corps voluptueux, une poitrine généreuse. Elles voudraient que tous les garçons se retournent sur leur passage. Moi, non. Ce que je veux, ce sont des muscles. Si j'avais eu accès à un endroit pour me battre, je me serais entraînée. Mais il n'y en a pas, ici. Et je me demande comment je vais faire pour combattre dans le Parcours.

Mes mains tremblent alors que je tente de nouer mes cheveux. Ce n'est pas de l'appréhension ; juste de la hâte. Du moins, c'est ce que je me répète. J'ai comme un nœud dans ma gorge, et je dois me forcer à inspirer et expirer lentement. Je n'ai pas peur.

-Brume ?

Mon père apparaît dans l'entrebâillement de la porte. Il est venu juste pour moi, le jour de mon départ. Et aussi, pour soutenir ma mère. Je lui adresse un sourire.

-Tu as peur ?

-Non.

Pourquoi toujours cette question ? Je m'efforce de prendre une voix calme en prononçant ces mots. Je ne dois pas trahir mes sentiments. Ma mère arrive à son tour. Elle me prend dans ses bras pour me serrer fort contre elle, si fort que je ne respire presque plus. D'ici quelques minutes, un véhicule viendra me chercher pour m'emmener dans le centre de Neuf. Et je ne reverrai plus mes parents pendant un long moment.

-Est-ce que tu as pris toutes tes affaires ? m'interroge ma mère en me relâchant.

Je hoche la tête. Je n'ai que très peu d'objets personnels. Nous n'avons jamais eu les moyens de nous acheter beaucoup de choses, et la priorité, ici, c'est la nourriture.

Je pousse un long soupir. Mon cœur bat fort dans mes oreilles, et mes mains sont moites. Mes parents s'éclipsent pour me laisser me préparer. Je retourne une dernière fois dans ma chambre. Enlève les draps, jette mes cahiers. Ils ne me serviront plus maintenant. Je glisse un coup d'œil dans la rue, à travers ma fenêtre. Une épaisse poussière grise se répand sur la vitre, de sorte que j'ai du mal à voir, et je ferme les rideaux clairs, la seule décoration que j'ai. Ranger ne me prend pas beaucoup de temps, j'ai trop peu d'affaires. Et je regarde autour de moi la pièce. Vide. Je glisse dans la poche de ma veste une photo, regarde une dernière fois la pièce où j'ai toujours vécu. Je ne sais pas ce qui m'attend au Parcours.

Ma chambre est meublée d'un simple lit, d'un bureau et d'une armoire. Seule celle-ci est remplie. Je n'ai pas le droit d'emmener mes vêtements là-bas ; on m'en donnera. Je touche de la main le pendentif autour de mon cou. C'est ma mère qui me l'a donné. D'après elle, il appartenait à mes ancêtres. Même si je ne suis pas fière de mes origines, qui me font me sentir différente des autres, j'ai accepté son cadeau. Je ne sais pas ce qu'il représente, mais qu'importe.

Des coups sont frappés à la porte en métal. Je me crispe et je descends, pour voir mes parents ouvrir la porte. Deux Amiraux se tiennent devant nous, postés, en uniforme bleu marine. Je déglutis. J'ai soudainement la nausée. Les deux représentants ne s'embarrassent pas de manières.

-Brume Jewels ? prononce l'un.

Je hoche la tête, incapable de répondre.

-On y va.

Je serre ma mère une dernière fois dans mes bras, consciente que je ne la reverrai pas durant une durée indéterminée. Jamais je n'ai été séparée aussi longtemps d'elle. Surtout pour partir vers l'inconnu. Puis mon père. Tous deux ont les larmes aux yeux, et je dois détourner le regard pour ne pas pleurer moi aussi. Déjà que je parais faible, sans défense et que je suis petite, pas question que l'on me prenne pour une pleureuse ! Je suis les gardes à l'extérieur de chez moi. Tandis que le véhicule démarre, je regarde une dernière fois autour de moi. C'est sans doute la dernière fois pour un long moment que je vois la lumière du jour... Au Parcours, je serai sous Neuf, dans ses entrailles.

Nous arrivons assez vite. Plus vite que je ne le pensais. En même temps, Neuf n'est pas très grande pour une planète. C'est même la plus petite du Système.

L'entrée du Centre, là où se déroule le Parcours, est petite. Le véhicule peine à passer. Une fois à l'intérieur, je ne vois plus rien. C'est le noir complet. Il fait froid, malgré la température présente. Je me mords les lèvres. Mais je n'ai pas peur. « Tout va bien. Ce n'est rien. Tu ne vas pas mourir. Tu vas t'habituer. », me dis-je. De toute manière, j'en suis bien obligée. Pendant sept ans, je vais devoir vivre là.

Lorsque nous nous arrêtons, on me tire par le bras pour sortir. Un rayon de lumière provient de ma gauche. Et — à mon plus grand soulagement — nous nous dirigeons vers là. La lumière donne sur une salle vide. Ou presque. Il n'y a qu'une personne. Une femme plus vieille que moi, qui est adossée à une table grise, les bras croisés. Elle ne regarde pas dans notre direction. Je passe une main dans mes cheveux pour les redresser, et je souffle.

-La voilà, annonce un des Amiraux. Je te laisse te débrouiller avec elle.

Les deux gardes sortent, la porte se ferme en un claquement sourd derrière eux. Je regarde tout autour de moi, mal à l'aise. L'autre ne me regarde toujours pas. Au bout de quelques minutes, je commence à m'impatienter. Qu'attend-elle de moi ? Que dois-je faire ? Dois-je lui parler ? Ou rester ne rien faire ? Si ça se trouve, c'est un test. Pour savoir si je suis patiente ou non. Ou alors, pour voir si je suis curieuse. Je suis perdue. Parler ? Me taire ? Peut-être attend-t-elle de moi que je prenne une initiative. Je n'entends que les battements de mon cœur qui résonnent dans ma poitrine.

Un long moment passe. Puis elle lève la tête vers moi. Et ses yeux verts me transpercent de part en part.

-Alors, Brume.

Voilà pour le chapitre 3, dites-moi en commentaire tous vos avis ! xx

TERRIENNE (édité)Where stories live. Discover now