Chapitre 13-1 : Dessin

4K 423 32
                                    

Je me dépêchais de saluer Lucy et de retourner dans ma chambre. Pendant le repas, elle avait bien remarqué que quelque chose n'allait pas, mais j'avais prétexté la fatigue. Je fouillais à la va-vite dans le tiroir de ma commode, cherchant mes affaires de toilettes. Sans raison apparente, je haletais. Mon cœur dansait follement, et mon dos me tirait atrocement. 

Je descendis l'escalier, glissant presque sur le tapis vert et traversais rapidement le Salon pour me rendre aux salles d'eau. J'atterris une immense salle humide pleine de buée où des cabines, composées chacune d'un lavabo et d'une douche me faisaient face. 

Je me précipitais dedans, heureuse qu'il n'y ait pas grand monde. L'eau chaude coula sur mon dos, atténuant la douleur. Je m'essuyais rapidement et jetais un œil dans le miroir. Quand j'aperçus les cicatrices entre mes omoplates, je ne pouvais m'empêcher d'avoir un sentiment de malaise. Elles étaient devenues extrêmement bizarres, comme si je m'étais blessée récemment. 

Devenues presque blanches, des traces violettes en parcouraient le pourtour. Je les frôlais du bout des doigts, récoltant une douleur identique à celle d'un bleu. J'avais l'impression que les cicatrices s'allongeaient, mais je ne pouvais pas l'expliquer. Comment était-ce possible ? 

Je fouillais dans ma trousse de toilette. Ah, les voilà ! Par mesure de précaution, j'avais pris des bandages pour les cacher. Leur taille attirait les regards, et je n'en avais pas du tout besoin en ce moment. Je serrais les bandes autour de ma poitrine, leur maintien apaisant légèrement la douleur.

J'enfilais mes habits et regagnais ma chambre. J'ignorais les murmures qui se dressaient sur mon chemin et fonçais dans l'escalier, manquant encore une fois de me casser la figure. 

Je me sentais mal à l'aise, je ne connaissais pas cet endroit. Je n'avais jamais vraiment quitté mon patelin. Mon cœur ne cessait de tambouriner dans ma poitrine. Je me calmais seulement quand j'eus regagné ma chambre. Je retrouvais presque une respiration normale, et observais les alentours. 

Mon emploi du temps était posé sur la commode. Je commençais demain à 9h par Étude des Mutants avec la professeur Sawada. Enfin j'allais en savoir plus sur eux. Je posai la feuille, pris mon carnet de dessin, m'installai dans mon lit pour gratter frénétiquement le papier.

Mes dessins étaient toujours ceux d'animaux, et rarement de personnes. Mon trait était dur, saccadé. Je laissais parcourir mon imagination, chose que je n'avais pas fait depuis longtemps. Je dessinai des formes sans véritable but, juste le plaisir d'entendre la mine glisser sur le papier. 

Mais à laisser mon imagination déraper, je retrouvais dans les traits quelque chose d'effrayant : la manticore. Je n'avais représenté que son visage de face, son immense crinière de lion cachant le reste du corps. C'était l'instant où elle se tenait devant moi, et avait presque réussi à mordre mon bras. Instinctivement, je passais mes doigts sur la griffure presque guérie. Je n'aurais jamais cru que les élixirs continuent de faire autant effet.

Quand je jetais un coup d'œil à mon dessin, à la fois fascinant et flippant, je pouvais percevoir trois rangées de dents derrière sa lèvre inférieure. Trois ? Si elle avait eu le temps de refermer sa mâchoire, je ne sais pas si j'aurais encore mon bras maintenant. 

Je déchirais la page et la jetais dans la poubelle. Enfin, à côté. En maudissant ma maladresse, souvent due au stress et à la nervosité, je me levais et déposais le bout de papier dans la corbeille translucide. 

Je m'installais dans mon lit et fermais les yeux en espérant que le sommeil vienne vite.

***

D'autres enfants sont à côté de moi. On discute, ou plutôt on balbutie, car on ne sait pas encore bien parler. On a tous peur, car on voit le reste des bambins partir les uns après les autres. Un monsieur en blanc vient nous chercher. Il nous rassure, nous dit que tous va bien se passer. Certains le croient, d'autres crient « maman » ou « papa ». 

Un papa ? Qu'est-ce que c'est ? Moi j'ai une maman mais pas de papa, c'est normal ? D'ailleurs, elle me manque ma maman, pourquoi elle n'est pas venue avec nous ? Les docteurs nous ont dit qu'il y avait eu une explosion, que beaucoup avaient été blessés et qu'il avait fallu les emmener à l'hôpital. 

Je ne m'en souviens pas. 

C'est ça un hôpital ? Une grande pièce noire où le seul moment de lumière est quand la porte s'ouvre ? Mais si ma maman et celles des autres ont été blessés, pourquoi elles ne sont pas avec nous ? Ça fait plusieurs heures que nous attendons dans la pièce, alors pourquoi on ne peut pas les voir ? 

Soudain, c'est à mon tour, et le monsieur en blanc me prend dans ses bras. La lumière me fait mal aux yeux. Les couloirs sont blancs et je me sens mal. J'ai faim, j'ai froid et j'ai envie de faire pipi. Le monsieur en blanc s'occupe de moi. Il me pique le creux du coude avec une aiguille, mais moi je ne veux pas. 

Je secoue mes bras, mais le monsieur m'empêche de bouger. Il me fait mal. Ses mains sont moites. Je vois un liquide rouge très clair sortir de mon bras, et je ne comprends pas pourquoi. Quand il a finit de remplir un flacon, le monsieur m'enlève l'aiguille du bras et me mets un petit pansement. Enfin, je suis conduite dans une autre pièce où les enfants qui sont partis sont en train de manger. 

Des grandes dames s'occupent d'eux. Visiblement, je suis la plus petite. Tout de suite, une dame me prends dans ses bras puis m'aide à manger. Je dis que j'ai froid et elle me mets une couverture sur les épaules. A côté de moi, un garçon reste assis sans bouger devant son assiette. Une autre dame essaye de lui faire avaler un morceau, mais il refuse en secouant la tête et la regarde d'un air féroce. Je lui tapote l'épaule et lui demande pourquoi il ne mange pas. 

Il tourne ses yeux bleus lumineux vers moi, et ses lèvres s'étendent dans un sourire éblouissant.

***

Je me réveillai dans mon lit en sursaut, le front en sueur et le cœur battant. Qu'est-ce que c'était ? Un rêve ? Un souvenir ? Et ce regard bleu... j'étais certaine de l'avoir vu quelque part ! Le visage de l'Ombre qui m'a agressé me revint en tête, mais je le chassais rapidement. Après tout, beaucoup de gens possédaient des yeux bleus. 

Comment aurais-je pu rêver d'un souvenir dont je n'avais pas la connaissance ? A moins que... et si c'était un souvenir de la période où j'étais sur cette île, l'île d'Ewa ? C'était bien trop étrange. Encore embuée, je me levais et enfilais mon uniforme en songeant pensivement à ce rêve.

Devais-je en parler à Lucy ? Après tout, peut-être qu'avoir un avis extérieur pourrait m'aider à y voir plus clair. Je pris ma besace et mis dedans les quelques affaires dont j'aurais besoin. Je pris également Caligo, posée à côté de mon lit, ouvris la porte de ma chambre et descendis dans le Salon. 

Une dizaine de filles et garçons papotaient, en riant et en montrant pour la plupart leurs armes. Lucy n'étant pas là, je m'asseyais dans un fauteuil en l'attendant et me mis à dessiner. Nous avions prévu de déjeuner ensemble avant les cours, nous nous étions donc donné rendez-vous dans le Salon. L'un des groupes me regardait du coin de l'œil, mais je les ignorais, plongée dans mon croquis.

Une blonde avec des mèches décolorées écarlates s'avança alors vers moi, tandis que ses amies l'observaient discrètement derrière.

– C'est bien toi Amy ? me demanda-t-elle de but en blanc.

Je hochais la tête, soutenant son regard. Ma main continuait de tracer des traits, une partie de moi passée en mode automatique

– On t'a vu ici toute seule, tu veux venir avec nous ? me demanda-t-elle montrant son groupe d'amis. Oh, ton dessin est... magnifique ! fit-elle en écarquillant les yeux devant ma colombe.

Certes, cela ressemblait plus à un gribouillage qu'à un vrai dessin, mais les formes étaient majestueuses le mouvement des ailes assez fluides. L'un de mes dessins les plus réussis.

– Merci, répondis-je simplement.

– De rien. Je m'appelle Ella. Ella Kaiser. Je me demandais...

Elle enfouit ses mains dans les poches de sa veste, tout en grattant le sol avec son pied. Elle m'avait l'air sympathique.

Je penchais la tête sur le côté, attendant qu'elle finisse sa question.

– Eh bien voila, à propos de l'attaque du Mutant, je voulais savoir si tu savais autre chose que ce qu'ont dit les reportages et les articles de presse.

Mutante - Tome 1Where stories live. Discover now