Chapitre 43-1 : Sensations

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– Amy, je vais t'expliquer ce que l'on va faire, me dit le monsieur barbu. Il faut que tu sois très attentive, et que tu comprennes bien tout ce que je dis. S'il y a un mot où quelque chose que tu ne comprend pas, lève la main et dis-le moi, d'accord ?

– Oui ! je réponds en me balançant sur la chaise.

Mon petit cœur tambourine fort dans ma poitrine. Je suis super excitée, je vais savoir comment les docteurs vont me soigner ! Ils m'ont même dit que mon médicament sera amusant. Je ne sais rien du tout, mais j'imagine des bonbons de toutes les couleurs. Donc, je suis dans une grande salle bleue et violette, sur une chaise en plastique blanche. Autour de moi, il y a des tonnes de jouets, des poupées, des dînettes, et même un château de princesse !

Mais mon préféré, c'est l'immense tableau à craie qui fait tout le mur. Je peux faire des supers grands dessins dessus, et je les montre à Judithe quand elle vient me chercher ! C'est ici que je passe la plupart de mon temps. Je connais tous les coins, car j'ai la salle pour moi toute seule le week-end, quand la majorité des autres enfants repartent avec leurs parents. Mais des fois, il y en a qui restent avec moi le week-end. Mais ils vont avec d'autres docteurs, dans ces moments-là.

Du coup, des fois je fais des surprises aux enfants en préparant la salle, en mettant tout différemment. Ou des fois, je dessine des fleurs et d'autres trucs à colorier sur le tableau. Il paraît que je dessine bien, alors dès que je le peux je le fais. 

Je m'améliore de plus en plus, Judithe me félicite souvent, le monsieur barbu aussi. Rishi m'a déjà dit bravo aussi, une seule fois, quand j'avais dessiné un grand oiseau. C'était à partir de l'image qu'une fille, Seahya je crois, avait ramené. C'était... une colombe. Ça s'appelle comme ça, il me semble.

Mais ce que j'aime le plus, c'est quand le garçon me dit que c'est beau. Une fois, j'ai dessiné un lapin jaune aux yeux bleus, il m'a demandé pourquoi. J'ai dit que c'était parce que la couleur des poils correspondait à celle de ses cheveux, pareil pour ses yeux. Mais il avait eu l'air vexé. Il n'avait pas aimé être comparé à un lapin, alors je n'ai pas recommencé. Enfin, si, mais je ne l'ai pas dit. 

Je ne veux pas me fâcher avec lui, on se voit de moins en moins souvent. Mais la dernière fois, il m'a dit que être comparé à un lapin l'avait blessé. Il pensait que je le trouvais petit et faible. Du coup, je l'ai dessiné encore une fois, mais avec un loup ! Il a été surpris, mais il a dit le trouver joli !

Je balance donc mes jambes, comme je le fais toujours, mains appuyées à côté de mes jambes, sur la chaise. Je porte un pantalon avec des fleurs dessus, et un grand t-shirt blanc très large. Je nage un peu dedans, comme dit Judithe. Nager dedans, j'aime bien cette expression. J'aimerais bien pouvoir nager dans l'eau. L'homme barbu, je cherche encore son nom, me parle.

– On a trouvé un moyen de stopper la progression de la maladie, m'annonce-t-il avec un grand sourire.

Ah oui, ma maladie. Des fois, je vois des choses que les autres enfants ne voient pas, des... hallucinations, ils appellent ça. Je crois. Alors ils essaient de me soigner. D'autres fois, je fais des rêves bizarres, je vois des monstres. Enfin ça se sont plutôt ceux des histoires que me lit Judithe, comme le grand méchant loup. Je ne l'aime pas celui-là, c'est un méchant !

– Tu sais, le médicament que tu bois tous les jours, il doit être associé à autre chose.

Je penche la tête sur le côté, et écoute attentivement. Enfin, j'essaie, mes pensées dérivent vers Judithe et les jeux que nous avons prévus de faire. Mes jambes se balancent à une cadence différente.

– Amy ? m'appelle le monsieur barbu.

Je lui fais un grand sourire, et il soupire. Mais il continue.

– Le médicament, nous l'avons trouvé à l'aide d'animaux. Ils ont naturellement développé ce que l'on appelle des anticorps contre cette maladie. Donc, pour que ton corps développe aussi ces anticorps, nous allons te greffer une partie du corps de l'un de ces animaux.

Greffer ? Je ne sais pas ce que ça veut dire. Innocemment, je lui demande.

– Nous allons t'implanter une toute petite partie de son corps, pour stopper la maladie. Tu ne sentiras rien.

Mes jambes s'arrêtent brusquement, et j'ai l'impression que je vais vomir. Ah non, en fait je suis déjà en train de le faire. Le monsieur barbu va rapidement chercher un pot, et m'ordonne de vomir dedans. Mais je n'ai plus rien à donner. Je tremble, j'ai froid, je tente de me réchauffer en frottant mes bras, mais rien n'y change. 

Je sens que l'on me secoue, mes je ne peux rien faire pour m'empêcher de trembler. Je sens d'un seul coup mon corps de se réchauffer alors, et ma vision se trouble. Je tombe sur le sol.


J'aurais largement préféré rester dans mon rêve. Parce que là, quand je me réveillais, tout n'était que douleur. Mais étrangement, toutes ces sensations ne vinrent que les unes à la suite des autres. D'abord, l'odeur oppressante de pourriture qui emplissait mes narines. Dans une arrière pensée, je me souvins qu'elle émanait de mon dos. 

Puis je sentis le froid sur ma joue. Ce devait être la pierre sur laquelle j'étais allongée. La douleur lancinante de ma poitrine ensuite, c'était comme si je n'arrivais plus à respirer. Enfin si, mais juste assez pour survivre et avoir mal en même temps. Comme une crise d'asthme, avec des brûlures. La dernière sensation, et la plus forte, c'était mon dos.

Je ne savais même pas comment décrire, c'était un mélange de douleur, un monstre tentait désespérément de sortir de mon dos, me le lacérant à coups de griffes, de feu. Il déchirait la moindre parcelle, la moindre cellule. Il jetait de l'acide sur ma peau. Je m'entendis hurler de douleur, un hurlement si lointain que je crus l'avoir imaginé. Je me confondais, me perdais dans cet amas de sensations, toutes plus insupportables les unes que les autres. 

Je peinais à rester à la surface. Et c'était bien là le problème, je restais à la surface sans jamais remonter. Je me noyais, mais sans tomber dans l'inconscience. Je souffrais perpétuellement, rien n'arrivait à me faire quitter ces sensations. En me tortillant, tentant d'atténuer un tout petit peu la douleur, je parvins à distinguer des voix.

– Élixir ! Sinon... douleur !

– ... ai pas... trois heures...

– Lucy va... avec !

– Il... se dépêche ! Sang... n'arrive pas... arrêter !

Une main se posa alors sur mon épaule, et me retourna. Ce simple mouvement me fit un pousser un hurlement. Je crus même que la personne à côté de moi venait de tomber à la renverse. Des larmes coulaient le long de mes joues, je m'entendis pousser un râle de désespoir. Mon corps était un brasier vivant, je ressentais chaque cellule à travers la douleur. On me chauffait à blanc chaque partie. 

Je sentis alors quelque chose couler sur mes lèvres. Je recrachai directement, m'étouffant avec le peu qui était passé dans ma gorge. La personne accroupie à mes côtés me releva, m'arrachant un nouvel hurlement de souffrance. 

Cette-fois ci, le liquide coula une nouvelle fois dans ma gorge, et on me força à l'avaler. Je toussai rudement, me tortillant sous cette poigne de fer qui me maintenait jusqu'à que j'ai fini de déglutir. Cette autre action me fit souffrir de plus belle, des larmes coulèrent en conséquence.

J'eus pendant quelques secondes une sensation de froid dans le creux de mon ventre. La douleur s'amenuisa un tout petit peu, me rendant l'esprit un peu moins embrumé. La douleur devenait supportable, et n'était pas grand chose comparée à ce que je venais de subir. 

On me relâcha, et je pus à nouveau me coller contre le sol à la recherche d'une sortie. Je ne vis les présences autour de moi que comme des ennemis. Il me fallait une échappatoire ! Il me fallait me cacher ! J'étais en danger face à ces personnes, elles voulaient me tuer ! J'en avais la certitude ! Je rampais du mieux que je pus, ne voyant rien, mes blessures m'empêchant d'ouvrir les yeux. A moins qu'un film noir n'ait été posé dessus, je ne savais le dire. Tout était trop confus, mes pensées s'embrouillaient de plus en plus, devenant une brume que je ne parvenais pas à saisir.

Pourtant, une seule pensée se distinguait parmi les autres, tournant devant mes yeux. Je devais fuir.

Mutante - Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant